Lettres à Alexandrie

Lettres à Alexandrie

Alexandre le Grand fonde la cité d’Égypte qui lui rendra hommage en  -331. Il ne faut pas voir dans cette date un accomplissement, mais au contraire, une ère nouvelle. Si la Grèce a rayonné par sa culture au 5ème et au 4ème siècles avant notre ère, l’expansion de la culture liée à la conquête crée de nouveaux foyers artistiques, de nouveaux foyers de vie (puisque l’art est le reflet de la présence des hommes). Cette nouvelle période transforme Athènes en ce que Bernard Holtzmann reconnaît comme un « conservatoire », la cité est gardienne d’une tradition artistique, du classicisme des Anciens et laisse sa place de capitale de la culture aux villes de Pergame et Alexandrie. Il n’y a donc plus un lieu où se concentrent toutes les formes d’arts, mais un ensemble de cités qui s’affirment en foyers artistiques et littéraires.

 

L’art hellénique est donc ce qui pourrait être appelé un art « métis », fait de nombreuses influences, et pourtant, ce n’est pas un art nouveau ou créateur. Il n’y a, en réalité, que peu de création. Cette nouvelle forme artistique est tout d’abord une reprise du passé que l’on s’approprie et qui se mêle à des images et symboles récents. Il faut alors se demander quels sont cette littérature et ces arts nouveaux qui émergent à partir de l’ancien, et quel est le but recherché. En effet, par les mots et la représentation, l’homme s’exprime. La nouvelle ville d’Alexandrie rayonne parce que ses habitants l’ornent très vite et d’une façon tout à fait originale qui traversera les siècles (notamment par le « rococo » ou encore le baroque).

 

La ville d’Alexandrie est une ville conçue ex nihilo, elle doit attirer des chercheurs et auteurs pour devenir la ville si importante dans le domaine des Lettres qu’elle sera, puisqu’elle est à la fois un centre de recherches et un lieu de création littéraire d’un genre nouveau, qui brille notamment par la pureté de sa poésie. L’expansion d’Alexandrie dans le domaine des arts est due à la venue d’auteurs et de chercheurs célèbres. Dans l’antiquité, les hommes de Lettres voyagent beaucoup. La formation littéraire est bien entendu grecque, surtout au quatrième siècle avant notre ère, mais il est important de pouvoir nourrir sa pensée et son style avec des influences variées. Ces auteurs sont recherchés par la ville naissante qui conçoit sa bibliothèque pour mener à bien des recherches. Les grands auteurs d’Alexandrie, bien souvent d’origine grecque, sont ceux qui ont participé à la création de la Bibliothèque et du musée d’Alexandrie. Il y a donc, au-delà de la création artistique, une mise en valeur du patrimoine grec par ces deux institutions. La ville d’Alexandrie et son centre de recherche rayonnent vite et sont notamment à la base de l’édition d’Homère et de recherches visant à mettre en valeur les vers d’origine. En effet, chaque cité grecque, soucieuse de se mettre en valeur, avait ajouté des vers faisant référence à sa propre importance et à sa grandeur. Les auteurs d’Alexandrie ont mis au point l’édition qui est devenue celle de référence, malgré quelques modifications au texte d’origine aujourd’hui mises en relief.

 

Ce centre de recherche de la ville d’Alexandrie est au cœur de la bibliothèque et du musée de la ville. Le terme même de « musée » évoque les Muses, divinités de la création et de l’intellect qui sont neuf. Il y a Calliope, « à la belle voix », pour l’éloquence et la poésie épique, Clio, « la célèbre », pour l’histoire, Erato, « l’aimable », pour la poésie lyrique et la chorale, Euterpe, « toute réjouissante », pour la musique, Melpomène, « chantante », pour le chant, Polymnie, « aux nombres hymnes », pour la rhétorique, Terpsichore, « charmante danseuse », pour la danse, Thalie, « la florissante », pour la comédie et Uranie, « la céleste », pour l’astronomie). Le musée peut se rapprocher d’un temple où les intellectuels se réunissent sous le patronage des Muses (comme à Athènes), muses qui sont elles-mêmes sources d’inspiration artistique. Près du musée se situe la bibliothèque.

Bibliothèque Alexandrie

Bibliothèque Alexandrie

 

La création de bibliothèques vient de la tradition des collections de livres privées. Il y a des livres dans les demeures privées ou les lieux d’enseignements (à l’image du « Lycée » d’Aristote), mais aucune bibliothèque n’a jusque là suivi l’idéologie de celle d’Alexandrie qui consiste à réunir l’universalité du savoir en étant gérée par le Roi. La bibliothèque est dans le quartier du palais. On dit qu’elle aurait contenu 400 000 « bybloi symmigeis » (rouleaux composites) et 90 000 bybloi amigeis (rouleaux simples). Les fonds de la bibliothèque sont réunis de diverses manières comme des achats, des butins de guerres, on parle également de « ruses » des Ptolémée dont la plus célèbre consiste à demander un manuscrit original, avant de faire une copie, qui sera rendue en lieu et place de l’original.

 

Des auteurs siègent à la bibliothèque d’Alexandrie. L’un des premiers est Callimaque le Lybien, un proche de la Cour qui participe à la fondation de la Bibliothèque avec Zénodote. Il est l’éditeur d’Homère et lui-même est poète), même si on ne conserve que des fragments de ses œuvres, principalement des Hymnes que l’on rapproche d’Hésiode.

Il est également possible de citer Apollonnios de Rhodes, précepteur de Ptolémée III et directeur de la Bibliothèque après Zénodote. Il est le poète célèbre pour avoir composé les Argonautiques, poèmes en quatre chants qui ont été un véritable échec et qui vont mettre fin à sa carrière. Le dernier des trois auteurs les plus célèbres d’Alexandrie est Théocrite de Syracuse, celui qui a inventé l’idylle (eidyllion) et la poésie bucolique qui restera implantée jusqu’au 19ème siècle en France, notamment grâce aux descriptions bucoliques de Rimbaud. Il y a trente idylles. Ce sont de courtes pièces à sujet mythologique. Les bucoliques rappellent la vie champêtre comme chez Virgile à la fin du premier siècle avant notre ère. Par Théocrite, on peut voir un réel renouveau de la poésie qui nait à Alexandrie.

 

La ville créée ex nihilo n’a pas d’histoire ou de culture. Elle doit donc se forger un patrimoine et débute avec la littérature. Ne pouvant pas se mettre en avant une histoire littéraire propre, Alexandrie est devenue un centre de recherche prisé, ce qui lui a permis d’attirer les grands auteurs et savants de la période hellénistique. Ce centre de recherche va également être un foyer de la littérature à mi-chemin entre la mise en valeur du passé et la création d’un style nouveau. Cette caractéristique se retrouve, par ailleurs, dans d’autres formes artistiques.

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Marie-Claire Berthier

Etudiante en français, grec et latin à l'université Paris Ouest Nanterre