Verdi et l’indépendance italienne
Il Risorgimento, l’indépendance et l’unification de l’Italie fut un long et passionné accouchement, comme les italiens en ont le secret. Des éclats, des coups de gueule, des proclamations tonitruantes et … le pape…. Un obstacle certes, un ennemi de fait, mais, … c’est le pape et en Italie le pape c’est le pape. Quatre siècles plus tôt, les Italiens ont fait des pieds et des mains pour le récupérer, alors il ne s’agit pas de le faire partir à présent, mais que faire ? Alors le conflit s’enlise et puis de toute façon il y a d’abord les autrichiens à mettre dehors. Car Il Risorgimento c’est l’indépendance oui, mais c’est aussi l’unification de cette multitude d’Etats, des Lombards aux siciliens en passant par les Sardes et les Etats pontificaux. Des régimes différents, tout aussi Mobilé que la Dona de Rigoletto. Alors il faut faire appel aux étrangers, particulièrement les Français. Oui mais voilà, les Français sont encore plus Mobilé que la Dona italienne en ce début de XIXème siècle et leurs intentions ne sont pas toujours Pro Italia. La victoire puis la défaite de Bonaparte, que chante la Tosca, ne porte pas les mêmes attentes ni les mêmes espérances que le pacte secret entre Napoléon III et Cavour.
Les grands compositeurs italiens de l’époque se sont presque tous impliqués à divers niveaux. Rossini ouvre le bal et crée en 1829 Guillaume Tell, un opéra qui glorifie la lutte des Suisses contre l’occupant autrichien.
Mais le chantre incontesté, le patriote convaincu et résolument impliqué au point de devenir le symbole de l’indépendance, c’est indubitablement Verdi. Verdi était un ardent nationaliste qui rêvait d’une Italie libre et unie.
En 1842, Morelli lui propose un livret de Temistocle Solera, Nabuchodonosor. Créé le 9 mars 1842 à la Scala avec Giuseppina Strepponi, sa compagne, dans le rôle d’Abigaille, Nabucco est un triomphe. Il reste à l’affiche pour 57 représentations pendant neuf mois. Le « chœur des hébreux » opprimés qui chantent l’amour de la Nation est évidemment assimilé à la lutte de l’aristocratie et des patriotes italiens contre l’occupation autrichienne. Nabucco fait aussi un triomphe à la Fenice de Venise. Verdi voyait dans son opéra qui raconte l’exil du peuple juif, le symbole des Italiens opprimés. Dès lors, les opéras de Verdi devinrent un symbole de l’indépendance italienne.
Il renouvelle son succès avec les Lombards de la première croisade, créés à la Scala le 11 février 1843, malgré l’opposition de l’archevêque de Milan, le cardinal Gaisruk. Verdi devient un homme politique, ses opéras donnent l’occasion à des manifestations patriotiques.
Son nom devient le sigle de la liberté, V E R D I étant les initiales de « Victor Emmanuel Roi d’Italie ». Avec Cavour et Garibaldi, Verdi est considéré comme une figure emblématique du Risorgimento.
En 1848, le 18 mars, la troupe autrichienne tire sur la foule à Milan. « L’insurrection des 5 jours » libère la ville. Verdi est enthousiasmé. Il se rendra à Milan mais y arrive après les combats. Il écrit à son librettiste Piave le 21 avril « Je n’ai pu voir que ces extraordinaires barricades et non les combats. Honneurs à ces héros ! Honneur à toute l’Italie, vraiment grande désormais ! Voici l’heure de sa libération, sois-en sûr. Le peuple le veut et quand le peuple le veut, nul pouvoir absolu ne saurait y résister. Ceux qui entendent nous régir par la seule force peuvent bien faire ce qu’ils veulent, conspirer autant qu’ils veulent, ils ne parviendront pas à priver le peuple de ses droits. Oui, oui, quelques années encore, peut-être seulement quelques mois, et l’Italie sera libre, unie et républicaine. Comment pourrait-il en être autrement ? »
Ce chœur égyptien d’Aïda est à n’en pas douter un écho de cet enthousiasme qui animait Verdi et au lieu de Gloire à l’Egypte entendons Gloria all’Italia !
Dans ce mouvement, un personnage exemplaire émerge peu à peu, le comte Camiolo Benso de Cavour, aristocrate et homme d’affaires « moderne » qui investit dans les chemins de fer. Il a créé un parti nationaliste modéré et édite à Milan depuis le 15 décembre 1847 un journal : Il Risorgimento (La Résurrection) qui milite pour l’unité italienne et une monarchie constitutionnelle. De fait, le roi Charles-Albert de Piémont-Sardaigne promulgue le 8 janvier 1848 une monarchie constitutionnelle.
Enfin, troisième nom de l’indépendance, Garibaldi revient d’Amérique du Sud et forme avec Mazzini une légion pour combattre contre les Autrichiens pour l’indépendance de la Lombardie. Battu à Mazzone, Garibaldi se réfugie à Gaète. Il revient à Rome et forme une nouvelle légion pour défendre la République.
Le 20 décembre, Verdi est à Rome pour la création de La Battaglia di Legnano (sur un livret de Cammarano) au teatro Argentina, le 27 janvier 1849. C’est un triomphe (20 rappels à la première) marqué par la politique. C’est là que son nom devient un des symboles de la résistance contre l’occupation autrichienne et Viva Verdi devient viva Victor Emmanuel Roi d’Italie. Le 9 octobre 1849, le pape est déchu, la République romaine est proclamée. La France dépêche un corps expéditionnaire pour rétablir le pape et les Garibaldiens sont battus le 1er juillet 1849 au Janicule.
A Naples, Verdi crée Luisa Miller sur un livret de Salvator Cammaro d’après Kabale und liebe de Schiller au teatro San Carlo le 8 décembre 1849. La création a été mouvementée. En raison des difficultés financières du théâtre, Verdi avait demandé le placement d’une somme de garantie. Le directeur du théâtre refuse. Verdi veut quitter la ville, mais sous la menace d’une arrestation se réfugie sur un bâtiment de guerre français ancré dans le port. La représentation a lieu mais Verdi ne veut plus composer pour cette ville. Le refuge français de Verdi témoigne de l’ambiguïté et du peu d’entrain de la France à prendre part aux combats, sans vrais enjeux pour elle. Alors le nationaliste Verdi qui réside souvent en France n’est pas un ennemi, au contraire. Il vient même de composer la Traviata, son plus immense succès, sur un roman français, la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas, dont l’action se déroule à Paris.
C’est à Paris, sur fond de velléités d’indépendance italienne que le 13 juin 1855 à l’Opéra est donnée la première des Vêpres siciliennes, opéra en 5 actes sur un livret d’Eugène Scribe et Charles Duveyrier. Il est fait d’une reprise du Duc d’Albe de Donizetti. Inspiré d’un épisode historique authentique de l’histoire des Pays-Bas, le livret est parfaitement adapté au genre du grand opéra romantique qui triomphe alors. Délaissé par Donizetti, il sera recyclé par Scribe pour Verdi et formera le fond de l’argument des Vêpres siciliennes.
Les Vêpres siciliennes désignent d’abord un soulèvement et une révolte populaire de l’île contre la domination féodale du roi français Charles d’Anjou, survenue à Palerme et Corleone, le 31 mars 1282, mardi de Pâques. A la suite de ce soulèvement et du massacre des Français, les Siciliens se libèrent du joug angevin avant de se livrer au roi d’Aragon, Pierre III. L’évènement est donc à la fois un moment clef de l’histoire nationale sicilienne et un tournant géopolitique. Le Duc d’Albe quant à lui situe la scène à Bruxelles sous la domination espagnole, alors même que l’Italie rêve de son indépendance vis-à-vis des mêmes Habsbourg.
Verdi reprend donc dans ce même contexte cet épisode marquant de l’histoire italienne et le restitue dans son contexte historique et géographique, laissant à la duchesse Hélène la voix pour exhorter le peuple à la rébellion.
En 1859 nouvelles difficultés avec les autorités pour l’opéra La Vendetta in Domino sur un livret de Gustave Auber d’après Scribes prévu pour Naples. Le sujet, l’assassinat d’un roi de Suède est trop proche de l’actualité après les attentats contre le roi de Naples déjoués par ses gardes et celui d’Orsini contre Napoléon III. Les autorités décident de modifier l’œuvre sans l’avis des auteurs. Une vive polémique s’engage. L’opéra est interdit. Avec l’aide du librettiste Antonio Somma, Verdi modifie le livret. L’action ne se passe plus en Suède mais à Boston, le roi devient le gouverneur. Un Ballo Maschera, présenté au théâtre de l’Apollo à Rome est à nouveau un succès le 17 février, un triomphe doublé d’une manifestation politique.
Le 26 avril 1859, la guerre est déclarée entre le Piémont et l’Autriche. Les Italiens sont maintenant clairement soutenus par Napoléon III. Le 20 juin, depuis Sant’Agatha, sa résidence, Verdi lance une souscription : « Les victoires remportées jusqu’à maintenant par nos valeureux frères ne l’ont pas été sans beaucoup de sang répandu, et donc pas sans causer de douleurs suprêmes à beaucoup de familles ! A des moments pareils, tous ceux qui ont un cœur italien doivent supporter, en fonction de leurs propres moyens, la cause pour laquelle on se bat. Je propose une souscription en faveur des blessés et en faveur des pauvres familles de ceux qui meurent pour la patrie. »
Premier signataire il verse 550 francs, Giuseppina Verdi 83 francs, Carlo son père, 22 francs, Antonio Barezzi, 83 francs.
Le 12 juillet 1859 Napoléon et Victor-Emmanuel signent le traité de Villafranca qui laisse aux Autrichiens la domination sur Venise et dessine une confédération qui aurait le pape à sa tête. Cavour démissionne de son premier ministère du Piémont. Verdi est scandalisé y compris par le ralliement de Garibaldi au roi.
Au lieu de chanter un hymne à la gloire, il me semblerait plus approprié de se lamenter sur les éternels malheurs de notre pays. Avec votre lettre j’ai reçu un Bulletin du 12 qui dit […] La paix est conclue… Venise reste autrichienne !!
Et où est donc l’indépendance de l’Italie si longtemps promise et si longtemps désirée ? Que veut dire la déclaration de Milan ? Venise n’est-elle pas italienne ? Après tant de victoires, quel résultat ! Tout ce sang répandu pour rien ! Tant de pauvres gens déçus ! Et Garibaldi qui a même sacrifié ses vieux principes pour soutenir un roi, tout cela en vain. C’est assez pour vous rendre fou ! J’écris en proie au plus profond découragement et je ne sais plus ce que je dis. C’est donc vrai que nous ne pourrons jamais rien espérer des étrangers, de n’importe quel pays soient-ils […]
Verdi à Clarina Maffei, 14 juillet 1859
Le 29 août 1859, il épouse Giuseppina Strepponi. Le 4 septembre il est élu pour représenter Busseto l’Assemblée des provinces de l’État de Parme. Le même mois il rencontre Cavour. Il s’occupe d’acheter des fusils pour la légion de Garibaldi.
Le 21 janvier, Cavour reprend ses fonctions. Le 12 mars, Parme vote pour l’annexion du Piémont. Le 4 avril 1860, une révolte éclate à Palerme. Le 15 mai, Garibaldi, à la tête de 1087 «Chemises rouges» (l’expédition des 1000) bat les troupes des Bourbons à Calatafimi. Le 27 mai, il est à Palerme. Le 7 septembre il est à Naples. A la fin de l’année, Cavour pense qu’il est temps d’organiser l’élection du premier parlement. Verdi qui veut échapper à l’élection tente de voir Cavour à Turin. Le 3 février 1861 Verdi est élu député de Borgo San Donnino (Fidenza). Le 14 février il est à Turin pour la séance inaugurale de l’Assemblée. Il sera Sénateur.
Le 26 octobre 1861, le Royaume d’Italie est proclamé avec à sa tête le roi Victor Emmanuel. La France reconnait le nouveau royaume d’Italie. Cavour meurt le 6 juin suivant, au terme du combat de sa vie, libérer la nation opprimée, comme Verdi l’a chanté quelques années plus tôt dans Mac Beth.
Mais la guerre n’est pas encore terminée, les Français s’opposeront ensuite à Garibaldi qui est battu le 3 novembre 1867 par les Franco-pontificaux à Mentana, ouvrant plus tard la guerre entre la France et la Prusse.
Après la mort de Cavour Verdi ne se représentera pas aux élections. Bien que patriote fervent, il n’était pas fait pour la politique : il avait trop de rigueur morale pour être l’homme des manœuvres et des compromis.
Le succès de Nabucco a valu à Verdi des commandes en cascades. De là un rythme frénétique de composition de 1843 à 1851, années qui voient naitre 12 opéras en 8 ans. Il a appelé cette époque, ses années de galère, c’est-à-dire de travail forcené. Ces œuvres sont de qualité inégales, mais on y trouve des joyaux. Dans beaucoup d’entre elles, Verdi fait vibrer la fibre patriotique, d’autant que leurs sujets présentent des similitudes avec l’actualité de la situation italienne, fort bien comprises par le public. Dans Attila (1846), l’Italie résiste à Attila et à ses Huns ; dans la Bataille de Legnano (1849), la ligue lombarde triomphe de l’empereur germanique Frédéric Barberousse. La revendication patriotique électrise le public, d’autant qu’elle est portée par l’enthousiasme des chœurs – pensons au chœur Patria oppressa de Mac Beth. L’esprit mâle, le climat épique qui habitent ces œuvres font paraître efféminé et périmé le Bel canto des Bellini et Donizetti qui régnait jusque-là, et cela d’autant plus que le chant verdien exige des chanteurs vaillance et véhémence – Hans von Bülow appelait Verdi « l’Attila des larynx ».
Mais il serait injuste d’éradiquer Bellini moins engagé certes. Mais le thème de l’occupant romain en terre gauloise repris dans Norma est bien dans la même ambiance que les Lombards ou Guillaume Tell.
Cet article est la collation de notes prises pour une conférence musicale. J’ai tenté d’en retrouver les sources, en plus des lointains souvenirs personnels. J’espère ne pas en avoir oublié.
Sources et aussi