Grandeur et décadence : la liberté des Grecs ou l’idéologie démocratique
La liberté des Grecs, thématique bien connue des historiens de l’antiquité, n’est pourtant pas sans nombreuses nuances. L’idée évolue et son influence historique tout en demeurant change également. L’un comme l’autre sont tellement liés que le cours de l’histoire n’est pas non plus sans influer sur l’idée elle-même. Le principe (nous pourrions réellement le prendre ici au sens d’arché) que recouvre ce « slogan » ne peut se vivre de la même façon avant et après Salamine (480 av JC), ni avant et après la guerre du Péloponnèse (431/404). A gros traits, nous avons là peut-être les trois temps essentiels de cette liberté des Grecs. Un temps de revendication défensif face au Grand Roi (de Perse), un temps de propagande impérialiste avec Athènes et enfin un temps de survie idéalisée avec le déclin athénien et la montée macédonienne.
Trois temps, trois périodes et finalement trois conceptions de la liberté de Grecs. Plus exactement, trois degrés dans la réalité de l’autonomie qu’elle suppose. Car les contours de cette liberté dépendent essentiellement du degré d’autonomie revendiqué ou tout simplement espéré. L’Athènes du Vème siècle n’espère plus la même autonomie que celle du IVème. Or cette mesure d’espérance, qui n’est autre que le réalisme pragmatique d’une situation donnée se retrouve également dans le discours qui l’accompagne.
Dans la première période nous avons à faire à un discours de propagande visant à galvaniser les troupes, car il en va de la survie même de la liberté des Grecs et par là de leur identité, tant cette liberté semble inscrite dans son caryotype. Au cours de la deuxième période c’est une idéologie de propagande pour un impérialisme à peine caché qui prédomine. Au cours de la dernière période, il s’agit de « sauver les meubles », de rassurer le peuple tout en affrontant une situation qui ne permet plus d’espérer cette véritable autonomie.
Dans le cas athénien le moteur politique et international que représente cette liberté est aussi le moteur de la grandeur de la cité et de son hégémonie. Ce qui se traduit par une apparente contradiction. Pour promouvoir et assurer la liberté des Grecs, Athènes est contrainte de les dominer, l’empire athénien devenant alors la condition de la liberté non pas des grecs mais d’Athènes. Ici se situe tout le paradoxe de cet empire fondé sur la défense de cette liberté, mais contraint de la refuser à ceux qui sont sous sa domination. Une telle rupture suppose un discours idéologique faisant de la liberté des Grecs une nécessité à garantir par la force. Athènes étant présentée comme le modèle abouti de la défense face à la menace considérée comme omniprésente du Grand Roi. Ici prend corps d’une façon renouvelée la supériorité athénienne. Une idéologie nécessaire pour justifier cette hégémonie. Supériorité dans l’ancienneté, dans l’autochtonie et donc dans la démocratie.
Ainsi, démocratie et liberté semblent liées, au moins chez Démosthène, dans leur survie. L’empire construit sur cette défense de la liberté est la garantie de la véritable liberté des Athéniens et donc du régime démocratique.
Ce dernier ne cesse, du reste, d’évoluer au gré des aléas même de l’empire. Il évolue dans les faits, mais aussi dans ce qu’il dit de lui-même, c’est-à-dire de la propagande plus ou moins officielle. Loin d’être unanimement acceptée la démocratie doit faire face à de nombreuses oppositions internes à tendance oligarchique ou aristocratique. Ces oppositions peuvent à l’occasion s’appuyer sur des soutiens extérieurs menaçant ainsi (et de plus en plus au Vème siècle) l’autonomie. Cette double agression (intérieure et extérieure) va conduire à une idéologie démocratique mise en place par les démocrates, au moment même où la démocratie comme l’empire sont en difficulté. Ainsi, la réalité comme la pensée, vont modifier le contenu même de cette liberté des Grecs dont le rôle géopolitique va parallèlement évoluer notablement.
Néanmoins, au-delà de l’idéologie se pose une véritable question pour un régime démocratique. Un citoyen est-il libre lorsque sa cité n’est plus libre ? Se pose donc ici la question de la souveraineté et du souverain auxquels Isocrate, le démocrate répond de façon apparemment surprenante. Mais ce sera l’objet d’un autre article…