« Les prophètes des juifs que diront-ils de leur Temple, trois fois renversé et point encore rebâti ? Je n’en parle pas pour leur faire un affront moi qui ai projeté de rétablir en l’honneur du dieu qu’on y invoque, ce temple ruiné depuis si longtemps » écrit l’empereur Julien en 362.
À Antioche, où il était arrivé le 18 juillet 362, Julien « songeait à reconstruire à grands frais le temple, jadis fastueux, de Jérusalem » rapporte l’historien romain Ammien Marcellin. Plusieurs auteurs chrétiens en font état : Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome, les historiens de l’Église du début du Ve siècle, dont Rufin d’Aquilée ; leurs récits sont concordants.
Pourquoi cette décision ? Pour nuire aux chrétiens en accordant une faveur aux juifs, selon les auteurs chrétiens : « Si grandes étaient son adresse à tromper et sa ruse qu’il se joua aussi des malheureux Juifs, séduits par de vains espoirs comme il en était lui-même animé » écrit Rufin en 402, sachant que l’entreprise n’a pas abouti. Julien avait-il d’autres raisons : promouvoir sincèrement la reprise du culte sacrificiel à Jérusalem comme dans les autres temples, se concilier la nombreuse communauté juive d’Antioche, s’attirer la sympathie des juifs de Mésopotamie à la veille d’entrer en campagne contre les Perses ?
Dans quel état le Temple de Jérusalem était-il ?
Construit par Salomon au milieu du Xe siècle, le Temple, la « Maison du Seigneur », avait été restauré en 662 par le roi de Juda, Josias : il avait aboli les autres lieux de culte et les dévotions « abominables » que l’on y pratiquait, pour établir l’unicité du sanctuaire, en se fondant sur la Loi retrouvée lors de la reconstruction du Temple : « C’est dans le lieu choisi par le Seigneur votre Dieu pour y faire demeurer son Nom que vous apporterez […] vos holocaustes, vos sacrifices… ».
Ce premier Temple détruit en 587 lors de la défaite du royaume de Juda et de la déportation d’une partie de la population à Babylone, fut reconstruit en 520-515 au retour de l’exil, sur ordre du souverain perse Cyrus. Passée plus tard sous la domination des Séleucides, la Judée fut le terrain de guerres, révoltes et persécutions. En 168, le roi Antiochos IV Épiphane profane et dépouille le Temple, y instaure le culte de Zeus Olympien et le culte royal. Les juifs horrifiés considèrent qu’il a fait dresser « l’abomination de la désolation sur l’autel des holocaustes » ; leur religion est supprimée et beaucoup se révoltent. En 164, Judas Maccabée reconquiert le Temple et le purifie, détruit les autels païens et rallume les lampes du sanctuaire.
L’alliance avec les Romains garantit pour un certain temps l’indépendance des Juifs. Mais les rivalités se développent : il est fait appel aux Romains. En 63, Pompée venant de Syrie, devenue province romaine, assiège Jérusalem où des partis rivaux s’entretuent ; il prend la ville au bout de trois mois et pénètre dans le Temple : « Rien ne fut plus douloureux pour la nation juive que la profanation par des regards étrangers du Lieu saint jusqu’alors soustrait à la vue » explique l’historien juif Flavius Josèphe. Pompée examine les objets sacrés et le trésor, mais ne prend rien. Le culte est rétabli le lendemain.
Protégé des Romains, Hérode, grand bâtisseur, reconstruit fastueusement le Temple en 20-19 av. J.-C. Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, V, 5) décrit son extension à partir de la colline initiale, plusieurs fois agrandie et consolidée, la construction des enceintes, la profondeur des fondations, le splendide dallage de l’immense esplanade, les magnifiques portiques, les différents parvis. Au centre le Saint Temple, le Sanctuaire, avec les œuvres d’art universellement célèbres qui s’y trouvent ; et enfin, soustrait aux regards, le Saint des Saints où il n’y a rien … si ce n’est la Gloire de Dieu.
Dans la Judée, devenue province romaine en 6 apr. J.-C. et administrée par un procurateur, nationalisme et messianisme politique alimentent divers mouvements armés ; il s’ensuit une véritable guerre. Après avoir repris le contrôle de la Galilée, le général Vespasien conduit la campagne de Judée. Acclamé empereur par ses troupes à l’annonce du suicide de Néron, il laisse à son fils Titus la direction de la guerre. Titus investit Jérusalem où s’affrontent des factions rivales et où règne une terrible famine. La ville, très bien fortifiée, tient durant plusieurs mois en dépit des assauts répétés. Une fois les Romains maîtres de la forteresse Antonia, les derniers défenseurs se replient dans le Temple où se déroulent des combats acharnés ; les portiques sont pris les uns après les autres ; les Romains poursuivent les derniers défenseurs jusque dans le Sanctuaire. Un soldat lance un brandon, sans en avoir reçu l’ordre, c’est l’embrasement ; le Temple tombe le 29 août 70, jour anniversaire de la chute du premier Temple. Titus rapporte à Rome pour son triomphe le chandelier à sept branches, la table des offrandes, l’autel pour l’encens, ensuite représentés sur son arc de triomphe érigé à l’extrémité du forum romain. Les sacrifices ne pouvaient plus avoir lieu, mais l’accès aux ruines du Temple n’était pas interdit aux juifs.
Une révolte messianique conduite par un chef charismatique, Bar Kosiba, aussi appelé Bar Kokhba « Fils de l’Étoile », se développe en Judée ; vaincu, il meurt lors de la prise de la citadelle de Béthar, le 9 Ab 135, tandis que l’empereur Hadrien fait construire sur les ruines de Jérusalem une ville nouvelle païenne, la Colonia Aelia Capitolina peuplée de vétérans, surmontée d’un temple dédié à Jupiter et au culte impérial. Les Juifs expulsés de Jérusalem et de toute la Judée – au moins en principe – avaient accès à Jérusalem chaque année le 9 Ab pour les lamentations sur les ruines du Temple.
Le temple de Jupiter capitolin fut fermé, mais non détruit, sous le règne de Constantin. Les sacrifices y étaient interdits par les empereurs chrétiens. Telle était la situation en 362 ; or Julien, l’Apostat, soucieux de rétablir le culte des dieux païens ne décida pas de rouvrir, restaurer et rendre au culte ce temple de Jupiter mais bien « le temple des Juifs ».
Lire la seconde partie
Julien restaurator du Temple de Jérusalem