
Venez le découvrir dans le cadre des Flâneries musicales de Reims avec votre média culturel préféré !
« Admirable vertu de la mort seule elle révèle la vie ! » Cette admiration du républicain Jules Michelet au sujet de la mort de Louis XVI, pourrait s’appliquer au malheureux Georges Bizet. Après une courte vie tragiquement écourtée par un bain glacial à Bougival au printemps 1875, au lendemain du cuisant échec de Carmen, le génie pourtant reconnu prometteur de son vivant s’éteint alors même que sa gloire prenait forme.
Les pêcheurs de perles, l’Arlésienne, Carmen ! Le brillant prix de Rome pensait à 19 ans qu’il lui suffirait de trois opéra-comiques à succès pour vivre heureux et prospère. Mais tous furent des échecs et le jeune père de famille, si jovial dans les lettres adressées à sa mère depuis Rome se mua en stakhanoviste du petit boulot pour faire vivre sa famille, sans jamais connaitre le succès. Et pourtant, quand il revint à Paris après s’être isolé pour écrire Carmen, il y croyait ! Il en était fier et heureux. C’était sans compter sur la médiocrité de l’orchestre de l’Opéra Comique et l’inaptitude de Célestine Galli-Marié pour un rôle aussi complexe qu’ambigu. C’était oublier le goût du jour un rien puritain et choqué qu’un premier rôle (rôle noble) puisse être donné à une trainée qui dévoie un bon soldat. Mais et la Traviata direz-vous ? Oui mais Violetta devient une honnête femme bien rangée pour l’homme qu’elle aime allant jusqu’à se sacrifie pour sa bonne renommée.
Bizet le génie n’avait peut-être pas bien évalué la distance entre cette œuvre novatrice et le public relativement conventionnel venu chercher, certes le scandale annoncé par l’histoire, mais surtout des formes musicales habituelles. Et pourtant quelques mois après sa mort, Vienne s’empare de la partition et donne à la richesse de l’orchestration, au jeu subtile des ruptures de style et de genre le coup d’envoi d’un succès dont Tchaïkovski prédira avec raison qu’elle serait l’opéra le plus joué au monde. Car tout, en effet, était prêt pour le succès, hormis les interprètes de l’Opéra Comique. Même l’éternel insatisfait Wagner trouva enfin du neuf !
Nous pourrions souligner la dentelle d’une orchestration à la fois légère et grave, la nouveauté du jeu de scène imposé aux choristes, l’exotisme à la mode, mais la clef du succès se trouve peut-être aussi dans le traitement même de l’histoire et le choix ambigu de la tessiture de Carmen. Mezzo-Soprano ! Un premier rôle confié à une mezzo-soprano ! Rôle enlevé, haut en couleur dont la légèreté aurait pu tout à fait convenir à une soprano. Un choix qui laisse ouvert l’interprétation musicale certes, mais aussi psychologique et philosophique du livret. Qui est Carmen au fond ? Une pauvre fille ? Une femme légère et capricieuse ? Un oiseau rebelle par nature, par orgueil ? Un rapace qui se venge ou un être fragile qui se cache ? Un oisillon blessé qui tente de s’envoler ou un albatros pesant sans cesse ramené au sol par la dure réalité de sa condition ? Entre une Carmen qui tire sur le mezzo et une autre qui s’envole vers le soprano laquelle est la véritable zingara ? Complexité d’un destin qui n’est ni blanc ni noir, reflet aussi de celle qui l’interprète, regard de celui qui choisit l’actrice, Nietzche ne s’y était pas trompé lui qui trouvait dans cet opéra une inépuisable source de médiation.
Avec Bizet, la Carmen de Prospère Mérimée prend le relief de l’ambivalence et au cœur d’un destin personnel vient sans cesse solliciter la conscience même du public…. De quel côté nous situons-nous ? Quelles interprétations de cette œuvre pourtant archi connue nous rejoint le plus ? L’opéra, même comique (et ici nous sommes passés au drame lyrique), dépasse le simple divertissement. A l’époque romantique il est bien souvent comme un miroir qui renvoie le public, comme l’interprète, à lui-même.
Avec un ensemble musical simplifié, dans quel univers, vers quel recoin de notre cœur David Walter nous entrainera-t-il ce 1er juillet à l’opéra de Reims dans le cadre des Flâneries musicales ?