
Suite aux ruines post révolutionnaires, Napoléon, par goût autant que par nécessité a impulsé un style Premier empire, dans l’art mobilier, immobilier et pictural alors qu’il est finalement assez peu intervenu dans le monde musical. Outre l’invention du clairon (pour distinguer ses armées des autres sur le champ de bataille) et un répertoire de marches impériales, pour fanfare, l’époque impériale ne laissa guère que les célèbres Tambours de l’empire, véritables prouesses techniques dans lesquelles les tambours de l’empereur rivalisaient pour animer le bivouac. Et si l’on excepte la marche du couronnement de Lesueur, il n’y a pas vraiment de musique officielle.
En revanche la personnalité de Napoléon ne laissa pas indifférent les grands musiciens et en premier lieu Beethoven tour à tour fasciné et furieusement déçu par l’homme. Nous connaissons tous l’histoire de la dédicace de la symphonie numéro 3. Cette symphonie, il la dédiait en premier à Bonaparte, alors Premier Consul de France et considéré, entre autres par Beethoven, tout utopiste qu’il fut, comme le héros de la Révolution Française. Par la suite, apprenant le couronnement de l’empereur Napoléon Ier, il déchira sa dédicace, alors que les deux premiers mouvements étaient déjà composés. Il déclara à l’occasion : « Ce n’est donc rien de plus qu’un homme ordinaire. » Il fut si déçu qu’en rayant sa dédicace il brisa la plume et abima le papier. La dédicace devint alors « Symphonie héroïque pour le souvenir d’un grand homme » et fut finalement dédiée au prince Lobkovitz. Beethoven considérait alors Bonaparte comme un défunt ce qu’il confirma à la mort de Napoléon, bien plus tard déclarant avoir déjà écrit la musique adaptée à cet événement. C’est ce que nous retrouvons dans la marche funèbre du second mouvement.
On ne peut passer sous silence que l’héroïque est bien plus qu’une dédicace politique, c’est une véritable révolution dans le monde musical. Elle ouvre l’ère de la musique romantique. Le deuxième mouvement en particulier, cette marche funèbre dépeint un grand spectre d’émotions, passant de la misère du thème de la marche jusqu’au réconfort qu’inspirent les épisodes en gamme majeure. Le finale de la symphonie montre une portée émotionnelle similaire et incarne une importance au sein du plan d’ensemble qui est inédite à ce point de l’histoire musicale.
Petite anecdote en passant qui témoigne d’un autre visage de Napoléon. Lors de l’occupation de Vienne par ses troupes, l’empereur fit poster un peloton de garde devant la porte de Haydn pour témoigner au compositeur son admiration et le respect que lui inspirait l’homme
Mais revenons à Napoléon. Le 12 juin 1813, dans les environs de la cité basque de Vitoria, Sir Arthur Wellesley, futur duc de Wellington, battait à plates coutures l’armée française commandée par le roi Joseph Bonaparte et le maréchal Jourdan. Cela réjouit tous les antinapoléoniens d’Europe et particulièrement à 1600 km de là, à Vienne, Ludwig van Beethoven qui composa la même année, la bataille de Wellington.
Dans la version de Beethoven, les armées belligérantes s’introduisent et présentent leur pièce d’identité musicale avant de s’engager dans la bataille. Premièrement, nous entendons le camp anglais : timidement, comme sorti de nulle part, un tambour bat au loin ; d’autres tambours se joignent à lui et la marche augmente en puissance et en intensité jusqu’à ce qu’un grondement de tonnerre emplisse les airs, puis, au-dessus du roulement de tambours les trompettes lancent un cri de bataille. Les Anglais coiffent cette fanfare avec une entrainante exécution de Rule Britania.
De leur côté, les Français répliquent avec leur propre fanfare et l’hymne guerrier « Malbrouque s’en va t en guerre ».
Suivant ces préliminaires, les Français défient les anglais de se battre dans un vibrant appel de trompettes. Ils acceptent, répliquant à l’appel avec leurs plus hautes trompettes. Dans la bataille, les trompettes françaises et anglaises peuvent être entendues de leurs côtés respectifs, ralliant les troupes. Les canons anglais résonnent. Les anglais ont le dessus, l’armée de Bonaparte agonise dans une pathétique version en ton mineur de Malbrouque. Le finale, avec une vigoureuse exécution de God save the King, porte cette « pièce d’occasion » à une formidable conclusion. Notons la composition très explicite de Beethoven qui n’hésite pas à poser en filigrane sa Vème symphonie et son V de la victoire.
Quelques mois plus tôt, victorieux, dominant toute l’Europe, Napoléon arrive à Moscou en 1812 et espère que le Tsar lui demandera la paix. C’était sans compter sur le général hiver. En septembre, les troupes françaises occupent Moscou. Napoléon attend en vain. Le temps passe et l’hiver approche. Il a le choix entre hiverner à Moscou et par conséquent être coupé de la France pendant au moins six mois ou rentrer au pays. C’est cette dernière solution, approuvée par les maréchaux qui est retenue et le 13 octobre, l’armée française prend le chemin de la France.
Le 25 novembre les troupes françaises, ou du moins ce qu’il en reste, arrivent au bord de la Bérézina. Grâce aux pontonniers du général Eblé qui travaillent dans l’eau glacée, la rivière est franchie sur deux ponts construits à la hâte. Le 29 novembre, Ney est de nouveau placé à l’arrière-garde. Sa personnalité dans ces circonstances tragiques est déterminante : redevenu simple soldat marchant au milieu des autres, le fusil à la main, il est un exemple « une âme trempée d’acier » selon Napoléon.
C’est ce drame de 1812, cette victoire que Tchaïkovski traduit dans son ouverture 1812.
Il existait déjà une ébauche concernant l’utilisation simultanée d’une fanfare, de cloches, d’un canon et d’un orchestre symphonique. Ces plans semblaient indiquer une exécution à l’air libre devant le Kremlin avec le canon déclenché électriquement depuis le pupitre du chef d’orchestre, pendant que les cloches de la nouvelle cathédrale accompagnées des centaines de tours et de clochers du Kremlin ajouteraient leur clameur au tumulte grandiose.
Le contenu expressif musical de l’ouverture de Tchaïkovski suit autant que possible le caractère chanceux des russes pendant et après le décisif 7 décembre 1812. Ce jour marqua le départ de la longue et désastreuse retraite de Russie qui détruisit l’honneur de la Grande Armée.
L’humeur solennelle est posée au commencement par les 8 violoncelles entonnant l’hymne Dieu protège tes enfants. Suit le corps de l’ouverture dans lequel l’évolution thématique d’un combat féroce est obtenue par l’opposition de fragment de la Marseillaise et de chansons populaires russes. Les interludes lyriques sont fondés pour la plupart sur un matériau populaire russe. La coda est introduite par un puissant crescendo de la Marseillaise dont la dernière mesure est confrontée à l’explosion grandiose de la fanfare et des percussions appuyées par les détonations du canon.
Une longue cadenza pour l’ensemble des cordes descend la voix vers un ton nouveau dans lequel tout l’orchestre, la fanfare, les carillonnements des cloches d’églises portent en triomphe le solennel Dieu protège tes enfants. Puis vient le pas cadencé russe en contrepoint à Dieu protège le Tsar accentué rythmiquement par les tirs du canon.
La France est vaincue, la Marseillaise étouffée, la Grande Russie triomphe et son hymne s’élance loin au-dessus d’une grande armée à l’honneur brisé.