Mozart, rex Tremendae, Roi de majesté, mécontent ou source de pitié ?
Courte pièce, à la fois solennelle et recueillie, le Rex Tremendae n’est pas, lui non plus exsangue de contradictions. À la fois roi redoutable en majesté et source de bonté, ce Dieu trois fois saint, trois fois Roi ne cesse de balancer entre le rôle du juge et celui du père. Nous sortons à peine de la colère divine et avant de nous plonger dans la douceur de ce pieux Jésus du recordare, le Rex Tremendae semble faire office de transition. Ainsi, à l’intérieur même de la pièce, deux ambiances différentes se succèdent dans une même tonalité.
Sol mineur n’est rien de moins que la tonalité du mécontentement, du tourment. C’est donc mécontent que ce roi redoutable descend du ciel, au rythme de la descente instrumentale d’ouverture. Il s’avance majestueux et redoutable. Plus exactement, ils s’avancent majestueux et redoutables : trois Rex sonnés comme une fanfare sur un rythme solennel. Au théâtre, avec les trois coups s’ouvre le rideau. C’est bien l’entrée en majesté de toute la Trinité descendue du Ciel pour faire justice et aussi œuvre de bonté.
C’est précisément là que semble se situer la transition avec le Dies Irae, car la demande, ‘salva me’ s’adresse à la source de bonté et non pas au Dieu redoutable en majesté. À partir de la mesure 7, l’ambiance change. Ce n’est plus l’entrée théâtrale et impressionnante, mais la demande respectueuse et timide. La petite fugue n’est plus anxieuse, elle est presque sereine, quoique toujours insistante (selon le principe de reprise des demandes du canon). Toutefois, nous n’avons pas changé de tonalité, nous sommes toujours en sol mineur, celle du tourment. La demande de Mozart – auteur de toutes les parties vocales – n’est pas celle de l’espérance. Il est tourmenté, comme s’il se demandait s’il pouvait être sauvé ?
Le piano des mesures 17 et suivantes contraste avec la majesté divine. L’homme qui supplie retient presque son souffle face à cette majesté. Plus encore, si on suit la partition faite de rupture (femmes puis hommes, silences) avant une homorythmie finale, c’est comme si, épuisé, mourant, l’homme exhalait en un ultime soupir sa demande. La dernière mesure à l’orchestre, pourrait être ces derniers soupirs à la fois saccadés et sereins. Les deux interprétations ne sont pas incompatibles, mais il importe surtout de souligner le contraste entre la Majesté divine et le fidèle respect, cette crainte biblique qui empêchait de prononcer le nom divin.
Autour d’un rythme solennel et donc marqué, campant l’autorité et la majesté, la fugue vient traduire l’immensité (l’infini) de cette majesté divine. Il convient donc d’éviter les ruptures de phrases et les coupures de respiration qui rendraient notre infini fini et la majesté bornée.
Notez enfin l’accord final sur ré (dominante c’est-à-dire seconde note la plus importante) qui attend, en l’air, d’être résolu par un accord de sol. Cet inachèvement, met en musique l’absolu de cette source intarissable. Il est donc plus qu’important de poser cet ultime accord en suspension et de ne pas relâcher l’air et ainsi vider la source !
C’est ainsi que nous vous proposons d’écouter cette version sans doute la plus proche du sens spirituel de l’œuvre et fort éloignée des galop par lequel la plupart des grands chef eux mêmes pastichent ce passage.