Le mystérieux requiem !
Que d’encre a coulé, que de rumeurs ont circulé, que d’imaginations se sont déchaînées pour faire de ce Requiem de Mozart, un mythe ! Pour retrouver l’histoire originale, il n’en faut pas moins revêtir l’imperméable du détective privé, ou suivre au son du violon de Sherlock Holmes les intrigues qui ont tissé un linceul de mystère autour d’une œuvre dont l’étoile n’a jamais pâli. Mozart aurait-il tremblé devant cette œuvre, au point d’en mourir ? Wolfgang aurait-il subit l’emprise maléfique de son subconscient terrifié par l’image d’une mort obsédante ? Amadeus aurait-il été lentement empoisonné pendant qu’il écrivait une pièce qu’il pensait composer peut-être pour lui-même ? Qui en voudrait au génie de Vienne ? Le jaloux Salieri, qui pourtant ne fit jouer pratiquement que du Mozart pour le couronnement de l’empereur Léopold II ? Des créanciers furieux, alors que Mozart n’avait plus de dettes à cette date ? Des francs-maçons exaspérés d’avoir été dévoilés par la flûte enchantée ?
Qui était ce mystérieux commanditaire ? Un mélomane admiratif ? Un envoyé d’outre monde ? Salieri lui-même ? Mozart s’est-il épuisé à la tâche, sous la pression des dettes ou de la peur de l’homme mystérieux ? Est-il venu lui-même à bout de son œuvre ? Qu’a-t-il écrit, pensé, esquissé ? Ce Requiem est-il bien de lui ou de Süssmayer, son élève ?
Comment autant de questions, de mystères, de légendes, autour d’un simple Requiem ? Si bien des questions restent encore sans réponse, une certitude éclaire aujourd’hui les origines du mythe ! Pour s’assurer les moyens de survivre, la veuve du compositeur a tressé de toute pièce une légende, n’hésitant pas à brouiller les pistes ou à se contredire, car en réalité, l’histoire est toute simple. Le mystérieux commanditaire avait requis l’exclusivité du requiem, qu’il destinait à un usage privé. Constance Mozart, espérait bien récupérer ces droits et mystifier le commanditaire qui manqua de peu de la traîner en justice. Il ne s’en fût que de la bonhommie du Comte von Walsegg, qui avait commandé cette œuvre pour commémorer la mort de son épouse bien-aimée. Compositeur à ses heures, le comte aimait faire croire à ses musiciens, avec qui il jouait, que certaines pièces commandées à d’autres étaient de sa main. Personne n’était dupe, pas même le comte, mais le jeu plaisait à tout le monde. Il destinait à la même supercherie le requiem commandé à Mozart. Homme bon et débonnaire, il prit sur lui l’affront fait par la veuve roturière et la laissa filer la légende.
Mais l’œuvre était commencée et en partie payée. Il convenait donc de la finir pour ne pas avoir à rendre la somme et surtout toucher le solde prévu. Ici aussi la légende s’est tissée. Qui a fini l’œuvre et qu’est-ce qui est de Mozart ? Les études musicologiques et graphologiques permettent de reconstituer la genèse de l’œuvre et les ajouts respectifs. Une autre énigme pour Sherlock Holmes, un autre roman pour Zola, car tout n’est pas glorieux. Grâce à une lettre d’un musicien du comte von Walsegg (lettre classée ‘non autorisée’ par le ministère impérial et royal, ce qui en dit long des enjeux qui se cachent derrière ce mystère)nous connaissons l’histoire de la commande et ce qu’en fit le comte. Il semble bien que le pauvre homme ait-été berné sur ce que Mozart avait écrit ou non et il semble aussi qu’il ait lui-même établi certaine réécritures. En revanche la protestation de fidélité de l’élève Süssmayer ne résiste pas à la critique et aujourd’hui nous pouvons établir que Mozart est bien l’auteur principal du requiem et qu’il a même pensé et donné toute l’architecture avec un très grand souci d’unité. Souci nouveau dans l’histoire de ce type de musique. Petit à petit se repèrent les thèmes récurrents, agissants comme de véritables leitmotivs dès avant le romantisme. Ces motifs confèrent à l’œuvre une unité musicale et émotionnelle qui repose sur un principe lui aussi nouveau, quoique déjà théorisé par Rousseau, la mémoire. Mais n’anticipons pas sur l’interprétation de l’œuvre et revenons à ce qui correspond à Mozart. L’introit, est entièrement de sa main, y compris l’orchestration. Le Kyrie est totalement composé par Mozart, à l’exception de l’orchestration qui est de Freystätdler pour les cors de basset, basson et cordes et de Süssmayer pour les trompettes et les timbales. En revanche, Le dies irae, Tuba Mirum, rex Tremaendae, recordare, Confutatis , lacrimosa, Domine Jesu et Hostias ont été ébauchés par Mozart. On y trouve toutes les parties vocales, la basse et quelques indications orchestrales. Les 5 premières mesures du Rex Tremendae sont simplement esquissées, ainsi que la fugue de l’Amen. Nous n’avons, au contraire, aucune indication pour le Sanctus, bénédictus, Agnus dei Lux aeterna, Cum sanctis dont Sussmayer a repris la musique de l’Introit, selon une coutume viennoise.
Toutefois, de très nombreuses indications révèlent la pâte du maître dans sa volonté d’unité.
Le requiem est donc bien du Mozart ! Et pourtant c’est un Mozart bien particulier. Comme dans ses opéras composés la même année (La Clémence de Titus et la Flûte enchantée), le Requiem est une œuvre de maturité. Mozart, affine, résume ce qu’il a pu expérimenter dans sa carrière. Parallèlement, alors qu’il est au sommet de son art, il cherche à s’inscrire dans l’histoire de ceux qui l’ont précédé. Et plus que jamais on retrouve l’influence de Haendel, Bach, Mickaël Haydn et d’autres encore. Son requiem est un hommage à ces prédécesseurs qu’il ‘site’ très souvent, qu’il copie diraient certains.
Depuis quelques mois, Mozart est vice-maître de chapelle à la cathédrale de Vienne. Il a depuis longtemps le désir de composer de la musique sacrée. Déjà, il composait pour l’archevêque de Salzbourg autrefois, mais depuis, accaparé par de nombreuses commandes profanes, il ne peut plus écrire de musique religieuse, alors même que c’est celle qu’il dit préférer. C’est lui qui sollicite ce poste, sans émolument ! C’est dire, si en effet, il souhaitait avoir l’occasion de composer.
La commande du requiem est donc l’occasion de montrer qu’il est, selon ses mots, le plus capable pour cette musique. Et pourtant, ce requiem, comme déjà l’Ave Verum (de la même année) ne ressemble guère à ses autres pièces sacrées. C’est que précisément, il a muri, il s’est beaucoup formé et il a rencontré Bach ! En outre, le goût musical est, à cette époque, marqué par la volonté de l’empereur Joseph II, de rendre aux pièces religieuses une certaine sobriété accessible à tous et premièrement au petit peuple. Finis les airs mixtes à l’italienne. Le requiem est donc pleinement dans cette nouvelle atmosphère plus intérieure et plus sobre. Et Mozart ambitionnait, rien moins que d’être l’inspirateur de ce courant.
Il resterait, pour être plus complet sur ce ‘contexte d’interprétation’, à appréhender la question du rapport de Mozart à l’œuvre, c’est-à-dire, au fond, à la mort. Or là encore, Constance Mozart semble avoir brouillé les pistes. Elle nous présente, à souhait, un mari terrifié par la mort, alors que toutes ses lettres, ses opéras mêmes, témoignent d’une grande sérénité. Connaître la réponse à cette question est capitale pour l’interprétation de cette œuvre. Est-elle sereine et porteuse d’espérance ou angoissée et désespérée ? Et c’est bien la vie de Mozart qui nous permettra de résoudre ce que la musique pose comme un dilemme. En effet, le Requiem comprend des parties douces et sereines et d’autres plus tendues et stressées, sans compter les stéréotypes et les types dans lesquels Mozart souhaite s’insérer. Son rapport à la franc-maçonnerie complexifie encore l’analyse. On sait qu’il y a chez les Francs-maçons, un certain volontarisme quant à considérer la mort comme la sœur tant attendue où enfin tout sera paix et sérénité. Alors, jusqu’à quel point l’optimisme de Mozart était-il sérieux, lui qui semblait porter la culpabilité de la mort de sa mère ?
L’écriture musicale est, elle-même, parfois ambigüe. Comment interpréter ces fugues du Kyrie ? L’angoisse insistante de la miséricorde peut-elle se déduire du tempo et de l’imbrication des parties de la fugue ? La noire pointée, du Kyrie, très significative de Dieu le Père est pourtant très sereine quoiqu’imposante. Mais la demande au Père est tout de suite reprise par celle au Fils, alors même que la première n’est pas achevée. Fuite en avant désespérée, ou symbole de la litanie infinie ?
Pour l’heure retenons simplement, la véritable sérénité de l’IntroIt. Sérénité marquée par un tempo lent et divisé à la croche et surtout par l’intervention du cor de basset que Mozart utilise dans ses derniers opéras dans les scènes plus équilibrées, moins tonitruantes que les instruments ordinairement usités comme les cors ou les hautbois. Il n’en va pas de même du Dies Irae plus soutenu, marqué quoique sans être explosif, comme sera celui de Verdi. Il convient de maintenir l’unité de l’œuvre qui, contrairement à l’habitude musicale du genre, n’est pas une succession de numéros. Ce Dies Irae, pourrait bien être une simple mise en scène de la colère divine. L’empreinte baroque et particulièrement haendélienne est assez notable dans ce requiem, pour réfléchir à une telle probabilité.