L’URSS et la musique
Les relations que l’Union soviétique, entendons les membres éminents du Parti, entretiennent avec la musique sont au diapason des évolutions mêmes du Parti. Aux périodes de durcissement succèdent des moments de relâche. Les compositeurs subissent les mêmes purges et contraintes que tous les arts. Autant dire qu’ils sont soumis, sous couvert de patriotisme, aux caprices des puissants, comme n’importe quel citoyen. Une chose peut toutefois différer. Leur notoriété peut les protéger. Instruments du pouvoir, ils doivent rentrer dans le rang, s’exiler ou se taire. Si bon nombre de musiciens ont choisi l’exil, comme Stravinski, d’autres reviendront, tel Prokofiev, tandis que certains ne quitteront jamais la terre natale, à l’image de Chostakovitch. Peut-être parce qu’il est le plus célèbre et le plus talentueux musicien de l’époque soviétique, peut-être parce que sa vie couvre presque toute la période communiste, Dmitri Chostakovitch est l’exemple le plus évocateur des rapports que l’Union Soviétique a entretenu avec le monde de la musique. Rapports politiques, mais souvent aussi capricieux et versatiles.
Après le succès mondial de sa première symphonie en 1926, le gouvernement russe lui commande sa seconde symphonie pour commémorer l’anniversaire de la révolution de 17. Mais en 1936, parait dans la Pravda un article intitulé, Le chaos remplace la musique, violente diatribe contre l’opéra Lady Mac Beth. Staline, accompagné de Jdanov, avait en effet assisté deux jours auparavant à une représentation au Bolchoï et l’avait détesté. Il n’en fallait pas plus pour condamner le compositeur. Trois types de reproches étaient faits à l’œuvre de Chostakovitch : sa musique, faite de « tintamarre, grincements, glapissements », son « formalisme petit-bourgeois » qui niait simplicité et réalisme socialiste au profit de « l’hermétisme » et enfin son « naturalisme grossier » montrant sur scène des personnages « bestiaux », «vulgaires ». L’article va même jusqu’à menacer l’existence du compositeur par cette phrase lourde de sens en pleine folie des purges staliniennes : « on joue avec l’hermétisme un jeu qui pourrait mal finir ». Les représentations furent aussitôt arrêtées.
Le 6 février 1936, Chostakovitch subit un autre coup du sort avec la publication dans la Pravda d’un article éreintant son ballait le Clair ruisseau. Le clair ruisseau est le nom du Sovkhoze que tous les soviétiques de cette époque connaissent car, à chaque automne c’est dans cette ferme d’Etat modèle qu’étaient tournées les actualités cinématographiques montrant que la nouvelle récolte était encore plus abondante que les précédentes. Quelques jours plus tard, Chostakovitch fait l’objet d’une condamnation officielle au cours de la réunion de la section de Leningrad des compositeurs. Beaucoup de ses anciens amis rivalisent alors d’attaques contre lui. Chostakovitch devient officiellement un « ennemi du peuple », accusation qui dans l’URSS des années 30, précédait bien souvent une déportation. En juin 1937, il est convoqué par le NKVD pour être interrogé et ne doit sa survie qu’à l’exécution de l’officier chargé de son dossier. L’attente constante du pire le plonge dans l’insomnie et la dépression. Il est hanté par des idées de suicide qui ne cesseront et le tourmenteront toute sa vie.
Obligé de faire des concessions, Chostakovitch donne à sa musique des accents plus traditionnels. Sa symphonie numéro 5 dont la facture très classique emprunte à Beethoven et Tchaïkovski, lui permet un retour en grâce. Avec cette œuvre qualifiée de « réponse d’un artiste soviétique à de juste critiques », le musicien à simplifié son style sans pour autant réprimer sa personnalité. Toute l’œuvre peut même être interprétée, sous la surface d’un langage conventionnel, comme la marque d’une profonde révolte contre la tyrannie. Réhabilité en 1941, il est nommé professeur au conservatoire de Leningrad, reçoit le prix Staline pour son quintette avec piano et orchestre.
Il écrit au cours de la guerre trois symphonies. La symphonie numéro 7 « Leningrad » fut écrite (au moins en partie) en 1941, à Leningrad, pendant le siège de la ville et créée toujours durant le siège dans des conditions irréelles. La création est assurée à Kouïbychev, le 5 mars 1942, par l’orchestre du théâtre du Bolchoï. Le concert est retransmis dans toute l’Union Soviétique et plus tard en Occident. La partition est ensuite transmise par microfilm à l’Ouest via Téhéran. L’orchestre philharmonique de Leningrad, réfugié à Novossibirsk y exécute l’œuvre le 9 juillet 1942, en présence du compositeur (également venu assister aux répétitions). A Leningrad, ville à laquelle est dédiée la symphonie, la création est effectuée le 9 août 1942 alors que le siège dure toujours, par l’orchestre de la radio de Leningrad (seul orchestre à être resté dans la ville pendant les hostilités) Pour cela la partition est introduite de nuit début juillet, puis une équipe de copistes fabrique le matériel d’orchestre avant que les répétitions ne puissent commencer. Les membres de l’orchestre bénéficient de rations supplémentaires, tandis que des musiciens en renfort sont recrutés parmi les soldats pour pallier l’absence d’artistes, évacués ou morts. Pendant le concert, la musique est retransmise par haut-parleurs dans toute la ville pour être entendue de la population et des troupes ennemies. Les troupes allemandes sont même bombardées dans les heures qui précèdent pour assurer leur silence pendant la représentation.
La symphonie numéro 8, dite parfois, Stalingrad, (l’hommage n’est pas de Chostakovitch), tragique et triomphale, est écrite en 1943. Elle est considérée par beaucoup comme le chef d’œuvre symphonique du compositeur. Elle est parfois comparée à un cri de protestation contre la guerre, le totalitarisme et la volonté de suprématie en général. Lors de la création, le concert est retransmis dans toute l’Union soviétique et plus tard en Occident. Notons qu’en URSS, la symphonie numéro 7 fut l’une des rares œuvres apparemment appréciées du pouvoir. Chostakovitch reçut le prix Staline pour elle en 1942.
Ainsi, lorsque la guerre prit fin, le public et Staline s’attendaient à ce qu’il produise une symphonie en forme d’apothéose. Tout au contraire, la Neuvième symphonie ne dure pas plus d’une demi-heure et ne nécessite qu’un petit orchestre classique. Elle contient des thèmes que certains estiment légers voire ridicules. Les cuivres sont parfois traités comme on le ferait d’une fanfare de cirque, a-t-on pu lire. Parmi ces collègues musiciens, certains lui demandèrent s’il était sérieux, alors qu’au sein du Parti on l’accusait de tourner en dérision la victoire.
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Cet article étant la reprise de notes d’il y a plus de dix ans pour une émissions radio, je n’ai pas retrouvé les sources de ces notes. Si certains se reconnaissent dans ces lignes , je serai ravi de les citer.
Notre illustration URSS-CIRCA 1976: Un timbre imprimé en URSS montre un portrait de l’compositeur russe Dmitri Chostakovitch et la musique de son 7ème symphonie, circa 1976.