La naissance de la symphonie

La naissance de la symphonie

La musique n’est pas une écriture figée, ni une théorie élaborée d’un trait une fois pour toute, in illo tempore…. C’est une lente construction qui remonte les âges et se laisse façonner par les modes, les découvertes scientifiques, l’ambiance morale et psychologique du temps qu’elle parcoure. Avec le même matériau de base, des notes, des sons émis par une vibration physique, des rythmes, les compositeurs ont traduit pour leur époque le message sonore qu’ils voulaient transmettre, pour charmer, envouter, accompagner, décrire, nimber. C’est ainsi qu’à travers le temps, une même pièce prend des allures radicalement différentes.

Au commencement était la musique modale. Non, ce n’est pas très juste, il y eut d’autres systèmes sans doute avant, mais aussi loin que nous pouvons remonter sans rupture dans notre culture occidentale, au commencement était la musique modale, dont sera issue notre grégorien. Nous sommes habitués à entendre un certain grégorien, celui remis au goût du jour par l’école de Solesmes au XIXème siècle. Mais le grégorien médiéval est fort éloigné ce cette recomposition. Le grégorien médiéval est directement imprégné de la musique des gaules dont nous avons des traces comme certains offertoires.

Surprenante musique traitée d’une manière déroutante pour nous et pourtant si familière au fond. Rien d’étonnant à cela, quand on écoute un autre type d’offertoire, issu de la plus grande école grégorienne, celle de Notre Dame de Paris au XIIème siècle. Les manuscrits de Léonin et Pérotin, eux-mêmes issus d’une maturation gauloise et carolingienne, traitent bien différemment l’offertoire, pourtant destinée à un même usage liturgique.

Sur une voix unique, celle qui tient, la tenore, on a peu à peu ajouté une basse puis au-dessus de la voix principale, un chant (cantus) et finalement encore au-dessus, une voix dite discantus.

Les formes musicales elles-mêmes ont évolué et se sont diversifiées. Aux messes se sont ajoutés les motets (poème musicaux), les rondeaux (danses rondes alternant couplet refrain) les suites (de danses à l’origine). La musique n’est pas d’abord purement instrumentale. Elle accompagne la danse, le chant. Mais avec le nombre grandissant des instruments, l’évolution de leur technique et l’apparition de virtuoses, naissent de nouvelles formes, comme la sonate, d’abord issue de la suite de danse et permettant la mise en valeur d’un instrument. Les formes vont finir par se fixer, avec plus ou moins de rigueur, pour donner le sacrosaint allegro, adagio, scherzo. Parallèlement, la symphonie fait une timide apparition. Il ne s’agit pas encore de donner des concerts orchestraux. La synfonia est d’abord une pièce orchestrale introductive pour les musiques d’Eglise ou pour le théâtre. S’ouvre alors la période des concertos pour orchestres, comme les concerti brandebourgeois de JS. Bach

S’il est un maître en écriture c’est bien Bach. Influencé par les plus grands compositeurs du temps qu’il a côtoyé, directement ou par le truchement de leurs élèves, dans sa jeunesse, il maîtrise parfaitement les formes d’écritures alors en vogue. Mais il demeure aussi emblématique d’une époque finissante. A sa mort ses œuvres seront immédiatement oubliées et il faudra Mendelssohn pour redonner la Mattheus Passion au monde. Bach marque cependant l’aboutissement d’un style, le baroque qui va finir par s’essouffler et lentement se modifier, façonné par trois mains de génie, celles de Haydn, de Mozart et de Beethoven.

Si vous écoutez le jeune Haydn dans sa première symphonie, on entendrait sans peine Vivaldi

La forme est claire, elle reprend très exactement les canons de la symphonie définis alors. Mais les choses bougent à cette époque et trois grandes écoles s’affrontent ou se complètent. Alors que la France demeure à l’écart, maintenant le style français, imposé péniblement lors de la querelle des bouffons, l’école de Berlin, celle de Mannheim et de Vienne, prennent chacune leur indépendance, vis-à-vis de cette forme issue de l’école italienne, très influencée par l’opéra bouffe, lui-même en évolution. JS. Bach ne composera pas moins de 60 symphonies dans ce style. L’école de Berlin dont CPE Bach est le plus digne représentant, est d’une facture beaucoup plus sérieuse et contrapunctique. C’est l’école de Mannheim qui abandonnera la basse continue, caractéristique du baroque. Comme l’école italienne, le primat de la mélodie s’impose avec des carrures claires. Mais à l’unité baroque sont substitués des contrastes, des effets, dont Haydn sera un grand maître.

L’école de Vienne systématisera le menuet dans la symphonie vers 1740. Ces évolutions de la symphonie, ne seront pas sans effet sur la musique de scène et réciproquement. Si Mozart utilise à l’opéra ses avancées symphoniques, Haydn parcourt le chemin inverse et fera entrer dans la symphonie, la tension dramatique de l’opéra, ouvrant ainsi la voix à Beethoven. Avec Haydn, la symphonie n’est plus un simple divertissement. Il s’agit désormais de saisir l’attention de l’auditeur par l’intérêt dramatique. D’où la mise en place d’une intrigue qui se noue, se dénoue et comme au théâtre, il faut une unité de ton, de caractère et d’action. Le drame exige la clarté de l’action. L’opéra n’est pas guidé, comme pouvait l’être la forme baroque par des symétries mathématiques. C’est l’action qui donne le ton. Aussi Haydn a-t-il expérimenté pour la scène des symétries en trompe l’œil qu’il va utiliser pour la symphonie. Il n’est pas jusqu’aux instruments dont la couleur devient théâtrale. Il n’est plus question de choisir un instrument pour sa seule beauté, mais pour ce qu’il apporte au drame.

Avec Haydn la symphonie est plus qu’un divertissement elle est scénique. Dès lors certains usages musicaux deviennent obsolètes parce que trop rigides, incapable de rendre l’intention dramatique. La précision très baroque et classique tend à s’estomper au profit du legato, du flou romantique, comme la peinture elle-même passera de la rigueur du portrait à l’impressionnisme. Et il est bien difficile de distinguer la 101ème symphonie de Haydn des œuvres romantiques dont elle ouvre la voie.

Avec l’ère romantique, la symphonie devient un programme, comme la pastorale de Beethoven, une émotion, illustration sentimentale comme Schumann. Il s’agit désormais non seulement d’entrer dans le drame mais de donner à l’auditeur de vivre ce drame, de s’unir à l’auteur.

Avec Beethoven, les symphonies deviennent une partie d’une tout. La V ne se comprend pas sans la Vème et la IXème résout l’impasse apparente de la Missa Solemnis.

Beethoven est lui-même un passage dans l’univers symphonique. Sa première symphonie de facture très classique va se déployer jusqu’à la IXème aux proportions encore inégalées. Les cadres encore présents dans la seconde symphonie explose. La modernité de Beethoven va secouer, déranger, mais ouvrir l’univers de la symphonie romantique aux grandes proportions et surtout avec lui, avec une direction, une trajectoire. Pour Beethoven la symphonie porte un message. Pour Schumann, beaucoup des siennes disent son amour pour Clara. (voir notre article) Nous sommes loin des divertissements scéniques de Haydn dans cette symphonie qui, d’une certaine façon « récapitule l’histoire même de la musique occidentale.

L’ultime symphonie de Bruckner (IXème), dédiée à Dieu, florilège de toutes ses symphonies invite le public lui-même à une action de grâce telle que beaucoup de compositeurs, comme après Beethoven, du reste, ne voudront plus composer de neuvième.

L’histoire de la symphonie ne s’arrête pas avec ces monstres sacrés auxquels nous pourrions ajouter Schubert, Mahler et bien entendu Brahms ou Mendelssohn (resté très classique pour sa part). Elle va évoluer en passant par les poèmes symphoniques, vastes programmes musicaux thématiques, ou les ouvertures, sortes de symphonies en un seul mouvement qui elles aussi prendront de nouvelles proportions, indépendante de l’opéra ou même de l’idée d’opéra. Entre Coriolan de Beethoven qui aurait pu servir d’ouverture à un livret complet et 1812 de Tchaïkovski, l’évolution et l’indépendances sont certaines.

Pour autant, les nouvelles partitions, quand elles gardent le nom de symphonie, ce qui n’est pas si fréquent, conservent précisément, l’esprit, sinon la forme et moins encore le style, du tournant opéra par les trois géants de l’école de Vienne que furent Haydn, Mozart et Beethoven.

Si nous écoutons le jeune Haydn dans sa première symphonie, on entendrait sans peine Vivaldi. La forme est claire, elle reprend très exactyement les canons de la symphonie définis alors. Maos les choses bougent à cet époque et trois grandes écoles s’affrontent ou se complètent. Alors que la France demeure à l’écart, maintenant le style français imposé péniblement pendant la querelle des bouffons, l’école de Berlin, celle de Mannheim, celle de Vienne, prennent chacune leur indépendance, vis-à-vis de cette forme issue de l’école italienne, très influencée par l’opéra bouffe, lui-même en évolution. Jean-Sébastien Bach ne composera pas moins de 60 symphonies dans ce style. L’école de Berlin, dont CPE Bach est le plus digne représentant est d’une facture beaucoup plus sérieuse et contrapunctique. C’est l’école de Mannheim qui abandonnera la basse continue caractéristique du baroque. Comme l’école italienne, le prilat de la mélodie s’impose avec des carrures claires, mais à l’unité baroque sont substitués des contrastes, des effets dont Haydn sera un grand maître.

L’école de Vienne systématisera le menuet dans la symphonie vers 1740. Ces évolutions de la symphonie ne seront pas sans effets sur la musique de scène et réciproquement. Si Mozart utilise à l’opéra ses avancées symphoniques, Haydn parcourt le chemin inverse et fera entrer dans la symphonie la tension dramatique de l’opéra, ouvrant ainsi la voix à Beethoven. Avec Haydn, la symphonie n’est plus un simple divertissement. Il s’agit désormais de saisir l’attention de l’auditeur par l’intérêt dramatique. D’où la mise en place d’une intrigue qui se noue, se dénoue et comme au théâtre, il faut une unité de ton, de caractère et d’action. Le drame exige la clarté de l’action. L’opéra n’est pas guidé, comme pouvait la forme baroque par des symétries mathématiques. C’est l’action qui donne le ton. Aussi Haydn a-t-il expérimenté pour la scène des symétries en trompe l’œil qu’il va utiliser pour la symphonie. Il n’est pas jusqu’aux instruments dont la couleur devient théâtrale. Il n’est plus question de choisir un instrument pour sa seule beauté, mais pour ce qu’il apporte au drame.

Avec Haydn, la symphonie est plus qu’un divertissement, elle est scénique. Dès lors, certains usages musicaux deviennent obsolètes, car trop rigides, incapables de rendre l’action dramatique. La précision, très baroque et classique tend à s’estomper au profit du legato, du flou romantique, comme la peinture passera elle-même de la rigueur du portrait à l’impressionnisme.

Si l’on prend la 101ème symphonie de Haydn, par exemple, il est bien difficile de la distinguer des œuvres romantiques dont elle ouvre la voix.

Avec l’ère romantique, la symphonie devient un programme, comme la pastorale de Beethoven, une émotion sentimentale comme Schumann. Il s’agit désormais non seulement d’entrer dans le drame, mais de donner à l’auditeur de vivre ce drame, de s’unir à l’auteur. L’ultime symphonie de Bruckner, dédiée à Dieu, florilège de toutes ses symphonies invite le public lui-même à une action de grâce telle que beaucoup de compositeurs, comme après Beethoven, ne voudront plus composer de IXème.

Avec Wagner, on franchira un pas supplémentaire avec l’art total, par lequel le compositeur veut imposer au public ce qu’il doit ressentir. Mais nous sortons là de la symphonie. Avec les formes propres à leur époque, les symphonies ultérieures garderont l’esprit impulsé par Haydn et propulsé par Beethoven. La symphonie dite Leningrad, de Chostakovitch en est l’exemple programmatique et émotionnel le plus parlant peut-être pour le XXème siècle.

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Cyril Brun

Cyril Brun

Cyril Brun est journaliste du vin, critique gastronomique, historien, philosophe et ancien chef d'orchestre Diplômé de maitrise du vin, il est dégustateur et formateur, journaliste et critique gastronomique pour plusieurs magasines ou sites. Titulaire d'une maîtrise en histoire médiévale et d'un doctorat en histoire de l'antiquité, il a été chargé de TD sur Rome et la Grèce archaïque à l'université de Rouen, puis chargé de cours sur la Grèce archaïque et classique, la Mésopotamie et l'Egypte à l’université de Quimper. Les travaux de sa thèse portent sur l'Afrique romaine au IIIème siècle après Jésus Christ, mais il s'est ensuite spécialisé sur la Grèce classique tant pour sa religion que pour ses philosophes. Il parcourt la France pour donner des conférences sur l'anthropologie classique, les peuples mésopotamiens mais aussi la musique, rédiger un guide oenotouristique. Chef d'orchestre depuis l'âge de 16 ans, il a dirigé divers ensemble en se spécialisant dans la musique symphonique (avec une prédilection pour Beethoven) et la musique Sacrée. Il a été directeur artistique et musical de diverses structures normandes : Les jeunes chambristes, la Grande chambre, Classique pour tous en Normandie, les 24 heures de piano de Rouen, le festival Beethoven de Rouen, Le Panorama Lyrique Ces compétences en philosophie, en histoire, en musique, mais aussi en littérature l'ont amené a écrire dans diverses revues musicales ou historiques, comme critique ou comme expert. Poussé par des amis à partager ses nombreuses passions, ils ont ensemble fondé Cyrano.net, site culturel dans lequel il est auteur des rubriques musicales et historiques. Il en est le directeur de la rédaction. Il dirige le site musical CyranoMusique dont il est le propriétaire ainsi que du média culturel Rouen sur Scène. Il est directeur d'émissions culturelles (le salon des Muses) et musicales (En Coulisses), sur la chaîne normande TNVC Il est l'auteur de Le Requiem de Mozart, serein ou Damné ? Les fondements de l'anthropologie chrétienne Une nuit square Verdrel La Vérité vous rendra libre