Dvorak, amoureux du Dieu trois fois saint !
Samedi 28 juin, Cyrano vous emmène à Auvers-Sur-Oise pour découvrir un autre visage de Dvorak.
Célèbre pour sa symphonie n°9, passée à la postérité sous le nom de symphonie du Nouveau Monde, Antonin Dvorak est moins connu pour son répertoire religieux, à l’exception de son monumental Stabat Mater. Homme d’une grande piété, le répertoire sacré s’égrène tout au long de sa carrière suivant lui aussi la maturité musicale du compositeur. Une de ses premières œuvres religieuse, une messe, déplut tant à son maitre Josef Forester qu’il l’a détruisit sans nous laisser la moindre possibilité de nous faire un avis. Néanmoins, Forester savait de quoi il parlait lorsqu’il s’agissait de juger le répertoire liturgique, lui qui fut de ceux à qui on dût la redécouverte de Palestrina ou du grégorien en Bohème. Lui-même partisan d’un renouveau liturgique dès avant Saint Pie X dût donner un avis bien douloureux au jeune Antonin. Ce n’est qu’en 1887 que le désormais célèbre et adulé compositeur tchèque reprendra la plume à l’occasion d’une commande privée. Comme il l’a écrit lui-même au commanditaire, Josef Hlávka, cette pièce aux dimensions plus humbles que ces grandes œuvres, comme le Psaume 149 ou le Requiem est celle d’un homme de foi. N’hésitant pas à se mettre au niveau d’inspiration spirituelle de Bach ou de Beethoven, il estime que « seul un artiste dévot peut engendrer une œuvre de la sorte. Bach, Beethoven, Raphaël et beaucoup d’autres en sont la preuve. » Nous pourrions ajouter à la liste Saint-Saëns ou Haydn, laissant soigneusement de côté Mozart quoique nous ayons pu en dire dans notre étude de son Requiem.
De cette messe en Ré, le pieux Antonin donne une dédicace en forme de programme de lecture. « Elle pourrait s’appeler Foi, Espérance et Amour du Dieu tout-puissant, et action de grâces parce que j’ai pu achever cette œuvre à la gloire de l’Éternel et de l’Art. » Haydn, dans sa Création, Liszt dans son Via Crucis n’auraient pas dit mieux ! Ce programme musical est présent dès le Kyrie. Cette Messe en Ré majeur, tonalité du triomphe, de l’Alléluia, de la grandeur divine s’il en est, nous place dès le premier accord (du moins dans la version antérieur au rajout de 1892 dû à la version pour orchestre) en présence d’un Dieu père, triomphant, victorieux, d’un Dieu de Majesté. Ce Kyrie comporte trois moments distincts et pourtant complémentaires, comme pour signifier l’unité divine. Car ces trois moments sont avant tout trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Entre le premier Kyrie (Seigneur le Père), le Christe et le second Kyrie (Seigneur l’Esprit Saint), il n’y a pas de rupture, mais un lien harmonique autant que théologique.
La mesure choisie par Dvorak est 6/4 du début à la fin. Le 6/4 permet d’exprimer 2 choses. Tout d’abord par rapport à 3/4 les longueurs sont plus allongées donc plus majestueuses et en même temps plus sereines, traduisant ainsi une part de cette espérance du compositeur. Le multiple de trois nous renvoie pour sa part à la Trinité. Rien de très original sur ce point. Le Père est évoqué par des valeurs longues et presque exclusivement ternaires. Il est et il est stable posé de toute éternité, comme le rappelle le point d’orgue final. Nous avons là, puissance et sérénité, sécurité même du Père. Le Christe, toujours ternaire est composé de rythmes plus découpés et d’une ligne mélodique descendante. Le Fils n’est-il pas celui qui est descendu du ciel ? Mais il descend non pas violemment, il descend en majesté sur le rythme noire pointée croche des entrées solennelles de Lully. Plus intéressant, nous changeons de tonalité pour passer une tierce plus bas au Si bémol majeur. Le rapport de tierce montre l’unité entre le Père et le fils, même Trinité et même nature. Mais ce ton montre aussi la spécificité du Christ. Voici ce que nous en dit Schubart (et non Schubert) dans sa classification. « Triomphe dans la difficulté, respiration libérée une fois les obstacles surmontés ; écho d’une âme qui a fortement lutté et finalement vaincu, et cela dans toutes les utilisations de cette tonalité. » L’exact combat, mission et victoire du Christ. Le Christ qui porte une double nature, divine (marquée par le chiffre 3) et humaine dont le chiffre 4 est le symbole. Si le Fils est semblable au Père comme nous le rappelle le rapport de tierce du changement de tonalité, sa différence est présente dès le premier accord du Christe. Accord de sol soit une quarte par rapport à l’accord final du premier Kyrie, ré. La nature humaine du Christ est bien ce qui campe sa différence avec le père.
Mais, chose curieuse, le Christe n’est pas achevé, il ne finit pas sur un accord bien posé de si, mais il reste en l’air sur un accord de fa dièse, accord de suspension qui attend par nature un dernier accord pour le résoudre. Or c’est une modulation ondulante qui nous ramène vers la tonalité de Ré majeur. L’Esprit Saint, celui-là même qui planait sur les eaux originelles, qui a enveloppé la Vierge nous fait passer du Fils au Père et du Père au Fils, comme l’enseigne la théologie trinitaire. Suit alors une fugue finale qui reprend en un seul motif les caractéristiques croisées du Père et du Fils, car l’Esprit n’est autre que celui du Père et du Fils. Trois personnes pour un même Dieu, tel est la foi de Dvorak. Mais à la différence d’un Mozart inquiet, d’un Haydn insistant sur la miséricorde, d’un Beethoven fasciné par la personne du Christ ou d’un Liszt persuadé de la victoire de la croix, Dvorak rend gloire à son Dieu majestueux, mais simple. De là la sérénité joyeuse de cette pièce, témoin de la révérence due au Créateur et de l’amour tendre de la créature.