Si Madame Butterfly est l’un des opéras les plus donnés aujourd’hui, il manqua de peu de se retrouver aux oubliettes des huées, dès la première. Mais Puccini tenait absolument à cette œuvre. Il la remodela donc à plusieurs reprises, pour lui donner le destin que nous connaissons aujourd’hui. Comment expliquer qu’un compositeur à succès, prenant une thématique à la mode, ait dû retirer Madame Butterfly dès la première ?
Pourtant, il s’était acharné au travail. Lui qui n’avait jamais mis les pieds au Japon, s’était renseigné sur la culture, la musique, les traditions pour recréer une ambiance « exotique », un dépaysement capable de déporter le public au pays de l’imaginaire intérieur personnel.
A la croisée de plusieurs courants, tiraillé entre l’exotisme dépaysant et déroutant et le vérisme cru et angoissant, Puccini est d’abord un conteur de l’âme, comme Verdi, mais avec un accent nettement plus psychologisant. Or l’exotisme, très en vogue à l’époque, est le courant le plus porteur pour l’évocation du voyage intime, personnel. Il permet de briser les cadres, de se placer aux portes de l’imaginaire, pour laisser les conflits traverser l’âme et le cœur en toute transparence.
Attaché à camper un décor inhabituel, Puccini choisit le Japon, très à la mode en ce début de siècle, comme lieu imaginaire, possiblement réel. Mais peu connaissaient cet Orient mystérieux. Pierre d’achoppement de l’exotisme, il fallait à Puccini, recréer l’inconnu avec des codes connus, pour permettre l’évasion sans risquer l’évanescence. Incessante oscillation de l’auditeur du connu à l’inconnu, les repères s’effritent, laissant l’esprit seul face à lui-même.
Sans méfiance, il se meut dans un Japon imaginé à partir de ses propres réalités. Si Puccini a voulu son histoire aussi japonaise que possible, il l’a cependant tissée à partir de cette vision occidentale exotique.
L’Histoire et la culture propre des geishas ne sont que l’écrin dans lequel poser nus les tourments d’une femme bien plus occidentale que nippone. Les sentiments de Papillon (Cio-Cio-San), leur expression n’ont rien de la retenue japonaise. Au contraire, ils sont le trait le plus occidental de la femme amoureuse en ce XXe siècle naissant. Aux portes de l’imaginaire, effondrant les remparts de la pudeur sociale, Puccini, avec les traits propres de son style, met la femme tourmentée sur le divan du psychologue. Il lui offre de s’exprimer, dépourvue de tout carcan.
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