La symphonie n°3 de Beethoven , dite « Héroïque » est, parmi toutes les symphonies du répertoire, une des plus belles et des plus grandes de l’histoire.
Ebauchée à Heiligenstadt en 1802, cette symphonie fut achevée à Vienne en mai 1804.
Elle devait à l’origine s’appeler « Bonaparte », celui-ci étant encore Premier Consul et admiré par Beethoven.
Mais quand il apprit le couronnement impérial de son héros, Beethoven entra en grande colère, arracha la première page de son manuscrit et nomma son œuvre « Sinfonia eroïca ».
Dédiée au Prince Lobkowitz, elle fut jouée, en privé, pour la première fois, en août 1804 et une seconde fois en décembre de la même année.
La première exécution publique fut donnée au théâtre « An der Wien » le dimanche 7 avril 1805. Beethoven dirigeait l’orchestre. Le public Viennois fut médusé, stupéfait par la longueur démesurée de l’œuvre et la nouveauté de son style. Les critiques la jugèrent « assommante, interminable et décousue, surchargée, incompréhensible et beaucoup trop bruyante ».
C’était une œuvre révolutionnaire pour l’époque, ne serait-ce que par sa durée avoisinant les 50 minutes : jamais une symphonie n’avait excédé 30 minutes. On a parlé d’œuvre « colossale ».
Sources site de l’Association Beethoven France
Pour comprendre cette symphonie, sur laquelle on a dit tant et tant de choses, du fait de son rôle de pivot entre le classicisme et le romantisme, ou sur cette entrée anticipée des cors, il faut en réalité se reporter au contexte philosophique de Beethoven et plus particulièrement au sens d’Héroïque pour Beethoven. Je me suis exprimé là -dessus en d’autres lieux, mais retenons que l’héroïsme n’est pas celui d’un général victorieux, ou d’une gloire des armes, même si Beethoven prend ces héros comme type même de l’héroïsme. L’héroïsme chez Beethoven est un héroïsme combattant de la vie ordinaire. Le héros qu’il met en musique sont avant tout des héros exemplaires du combat de la vie en vue d’une fin toute particulière. Et c’est bien ce qu’il nous expose dans sa symphonie numéro 3.
La construction de cette symphonie est la parfaite illustration de la trajectoire de l’Homme héroïque. Trajectoire de vie avec épreuves, souffrance et enfin résignation qui est la victoire en définitive. Regardez par exemple la structure do mineur Do Majeur do mineur de la marche funèbre.
Mais prenons la trajectoire de l’œuvre elle-même. Les compositions de Beethoven ont toutes une trajectoire, c’est-à-dire une finalité que le génie du compositeur construit sur une extraordinaire maîtrise de la tension résolution « tonique dominante » prenant les proportions, non d’une suite d’accords, mais d’un mouvement et même de toute la symphonie voire, comme pour la Cinquième et la Sixième, de deux symphonies.
Deux erreurs majeures brisent l’effet de trajectoire, comme ne pas porter les fins de phrases musicales mais aussi simplement instrumentales, en escamotant la « fin du temps » ; exagérer les accents tonitruants, héritage d’une tradition faisant de Beethoven un sourd bruyant. Lui-même disait en parlant du piano de Mozart qu’il le trouvait trop frappé. Beethoven aime les accents, mais pas la lourdeur et ici précisément, le premier mouvement, est trop souvent vu comme solennel, vision issue d’une conception héroïque à la général romain, alors que c’est l’héroïsme de la vertu victorieuse, d’où, au contraire un style alerte et vif (voire plus bas).
Dans ce contexte, il est bon de rappeler que les deux coups d’appel en ouverture sont un usage courant à l’époque pour attirer l’attention d’un public bavard et non l’annonce d’un Deus ex machina triomphal. Pour autant, Beethoven les intègre au style alerte par la rapidité d’exécution des deux notes.
Notez enfin l’alternance des mesures à deux temps et 3/4 campant une progression et, dans cette progression, des moments d’envolée ou de station. Stations qui pour autant ne sont pas la stabilité qu’incarne la VIème, résolvant la Vème
Au 1er mouvement, le thème héroïque est exposé par violons et violoncelles avant d’être repris par l’harmonie. Il importe de percevoir l’ampleur du jeu des variations de Beethoven sur ce thème et de les prendre chacune dans son « ambiance propre » puisque selon son habitude, Beethoven aime exposer plusieurs aspects d’une même idée. Ici l’idée est de montrer toutes les facettes de l’héroïsme.
L’évocation du thème en tutti ou à la grosse harmonie n’est pas écrasante, mais triomphante au sens conquérante, il ne s’agit pas de plomber la trajectoire, mais de la rendre « conquérante ». C’est le but de la vie de l’homme héroïque. Notez la cinquantaine d’accords dissonants (ce qui est colossal) qui sont étonnants pour l’époque et que nous devrions rendre tout aussi étonnants.
J’en profite pour rappeler que les instruments de l’époque n’avaient pas la puissance des nôtres, ce qui amène à relativiser le poids de certaines nuances.
La marche funèbre, pour sa part, n’est pas dans la partition d’origine. Beethoven ne s’est pas contenté de biffer le nom de Napoléon, il a modifié la marche triomphale en marche funèbre. Et c’est bien une marche, non une Ode. La progression de la trajectoire de l’homme héroïque est d’autant plus visible qu’alternent do mineur et Do majeur. Conception typique de la souffrance à surmonter chez Beethoven et de la force intérieur de l’homme héroïque.
Enfin, dernier parallèle pour entrer dans le dernier mouvement qui est une reprise de ballet et pas n’importe lequel. Le ballet comme finale est la finalité de la symphonie, parce que la joie (ici campée par le côté léger d’un ballet) arrive au bout de tout ce parcours.
Nous avons là la stature de chacun des quatre mouvements de l’Eroica, le caractère beaucoup plus intérieur des thèmes, l’apparition de dissonances insistantes et l’apothéose du thème du ballet Les Créatures de Prométhée dans le finale, qui est à la « Marche funèbre » du deuxième mouvement ce qu’une résurrection est à la mort. Beethoven a fait de l’Eroica un manifeste des idéaux révolutionnaires et du mythe de Prométhée. Prométhée ce Titan qui donne aux hommes le moyen de vivre par eux-mêmes : le feu en libérant de la tyrannie de Zeus.
Remarques à propos des Tempi (qui ne sont pas de moi mais reprise du site de l’Association Beethoven France)
Premier mouvement
Il faut distinguer deux conceptions :
– soit un tempo solennel.
– soit un tempo alerte, option qui parait la plus logique.
En effet le compositeur a bien spécifié « allegro con brio », ce qui implique un tempo vif (idem pour le premier mouvement de la Cinquième symphonie). Dans cette option, la reprise s’impose d’autant plus.
A noter que les deux accords d’entrée tiennent lieu d’indicateurs rythmiques, car leur « rapidité » conditionne le tempo du mouvement.
Deuxième mouvement
Ce mouvement relativement long est une marche, et non une ode funèbre. Le rythme doit être sans cesse présent, de façon obsédante. Or, il est impossible de saisir le caractère de marche quand ce mouvement est pris trop lentement.
Troisième mouvement
Le scherzo allegro vivace doit être le plus vif possible,
Quatrième mouvement
Ce mouvement est basé sur des thèmes dansants mais il a aussi un caractère « héroïque ». Il faut remarquer que la partie poco andante pose problème quand elle est jouée trop lentement, car cela provoque un hiatus dans ce mouvement, un déséquilibre, ces variations lentes rompant l’atmosphère générale.
Premier mouvement
Allegro con brio .
Notons que, contrairement aux symphonies classiques, et en particulièrement à ses deux premières symphonies, Beethoven supprime toute introduction. L’œuvre débute de façon abrupte par deux accords parfaits de mi bémol donnés forte par le tutti.
Suit le premier thème, exposé par les violoncelles dans la nuance piano (ce thème s’apparente, de façon fortuite, à celui de la sinfonia-ouverture du singspiel Bastien et Bastienne, composé par Mozart à l’âge de 12 ans, en 1768).
Un second motif (en si bémol et dolce) apparaît, sur 3 notes, joué successivement au hautbois, à la clarinette, à la flûte, aux premiers violons. Le second thème proprement dit est une suite d’accords staccato, piano et crescendo.
L’exposition a déjà une certaine durée inusitée et se termine par une barre de reprise.
Arrive le développement aux dimensions gigantesques, il comporte 246 mesures et c’est le plus long développement trouvé dans une symphonie de Beethoven. Sa complexité rend toute analyse vaine. Il ne faut pas manquer d’écouter, à l’issue du développement, la fameuse rentrée « intempestive » du cor en une « inadmissible » dissonance.
Une longue coda, dans laquelle les cors relanceront le motif initial, conclut le mouvement, avec tout l’orchestre, dans toute sa puissance.
Deuxième mouvement
Marcia funebre : adagio assai. (ut mineur, 2/4)
Déjà, dans la sonate pour piano en la bémol, opus 26, datant de 1802, Beethoven avait écrit en guise d’adagio, une « marche funèbre pour célébrer le souvenir d’un héros ».
Ce deuxième mouvement de la Troisième symphonie est de forme tripartite : les deux sections extrêmes, en ut mineur, encadrent un épisode central en ut majeur. Le thème de cette marche funèbre est d’abord exposé par les premiers violons, sur des accents rythmiques aux basses (on a pu évoquer des roulements de tambour). Il est ensuite repris par le hautbois plaintif.
Troisième mouvement
Scherzo : allegro vivace (3/4)
Le mouvement débute piano, comme une sorte de murmure hâtif des cordes, auxquelles le hautbois se joint. Ce rythme vif et régulier, n’est pas sans évoquer une charge de cavalerie. Le trio central est une fanfare de cuivres et fait dialoguer les 3 cors.
Quatrième mouvement
Finale : allegro molto. (2/4)
Le mouvement débute par une entrée impétueuse des cordes produisant un impact sonore foudroyant et est suivi de pizzicati annonçant le thème.
Beethoven devait particulièrement affectionner ce thème de danse, en effet, on le trouve :
dans sa série de Douze contredanses pour orchestre, WoO 14 ; c’est la n°7, en mi bémol, datant de 1801 ;
2- dans le finale de son ballet Les Créatures de Prométhée, opus 43 (1801) ;
3- dans les Quinze Variations et une fugue, pour piano, en mi bémol, opus 35, appelées d’ailleurs : Variations eroïca (1802).
Dans le grand finale de la Symphonie Eroïca, ce thème est développé en douze variations, avec une stupéfiante liberté d’invention. Ces variations s’enchainent et il est difficile de les distinguer. A partir de la neuvième variation, le tempo devient subitement lent poco andante, rompant avec la fougue du mouvement. Ce long passage lent constitue une pratique nouvelle et a de quoi laisser l’auditeur étonné et perplexe. Suit la douzième variation, constituée d’un presto, rappelant la fulgurance de l’introduction du finale et concluant brillamment la symphonie.
Version de Bernstein, un peu rapide, mais d’une grande clarté, loin des rouleaux compresseurs habituels.