Antonio Sepp, maître de musique à Buenos Aires
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Dossier Cyrano-La musique des Jésuites
Antonio Sepp (1655-1733), arrive en 1691 dans la région de Buenos Aires. Depuis son enfance, il avait été instruit à la musique et fit parti du chœur des chanteurs de la Cour impériale de Vienne. Il nous a laissé un très instructif « Récit de voyages dans les missions jésuites. » Il nous livre le récit de son arrivé et de son passage au Collège Saint Ignace : « Nous leur jouions une pièce avec la grande trompe, amenée de Ausburgo, et une autre avec la petite trompe, amenée de Genève. Ces bons pères n’avaient jamais entendu de telles musiques, mais ce qui leur ravit le cœur fut la musique jouée avec le doux psautier… Puis et en compagnie du Père Böhm, je jouai différents types de flûtes, le violon et la trompe marine, qui est un instrument à une seule corde mais dont le son ressemble à la trompette, et que j’avais fait construire à Cádiz. Les pères furent particulièrement enchantés. »
Au fil de ses lignes nous découvrons ce que fut l’œuvre d’évangélisation par la musique des pères jésuites.
« Par une disposition singulière de la Divine Providence, j’appris en Allemagne la musique moderne, mais aussi l’art de composer des pièces musicales, à l’école de Directeur d’Orchestre de l’Évêché de Ausburgo, du célèbre don Melchor Glettle, et maintenant je m’investis à réformer ici la musique vocale et instrumentale selon les méthodes allemandes et romaines, aidé grandement pour cela de mes amis en Europe qui m’enverront depuis Rome et Genève, avec le procurateur de nos missions, les messes et vêpres et autres œuvres musicales du dit Maître. »
Sepp expose son travail en faveur de l’enseignement de la musique auprès des indiens: « en l’an 1692 j’ai formé les suivants futures maîtres de musique : 6 trompettes, 3 bonnes théorbes, 4 organistes, 30 joueurs de chirimias, 18 cornets, 10 de fagots, 8 discantistas ».
L’historien Lozano nous apprend de lui que non seulement il enseigna à beaucoup d’indigènes le secret de son art, mais il leur composa aussi et dans leur propre langue (guarani), de nombreux chants sacrés grâce auxquelles les indiens se remplissaient de bonheur en pouvant chanter la gloire de Dieu dans leur propre langue.
Le même Sepp nous livre son admiration pour ses élèves : « On ne peut s’imaginer jusqu’où arrive le niveau de facture des indiens. J’ai entre mes néophytes un certain Paica, qui fabrique tout type d’instruments musicales, et les joue avec une admirable dextérité. Ce qui caractérise le génie des indiens en général est la musique. Que soit dit en passant tous les paraguayens ont un talent musical et apprennent n’importe quel instrument en peu de temps. Un des garçons indiens du village qui apprit avec moi à jouer de la harpe, a tellement progresser qu’il joue maintenant magistralement les « suites » les plus difficiles de compositeurs mondialement connus comme Schmelzer et des pièces compliquées en partie écrite pour violon de Biber et Truebner. De plus : ce garçon joue aussi avec un air tout souriant, avec la harpe de David, préambules, fugues, et musique militaire qui font suer plus d’un expert. Il faut se demander si sa main droite est plus habile que sa main gauche ou le contraire. En un mot, sous ses doigts, les tripes sèchent de brebis converties en cordes, commencent à parler et remplissent toute l’église d’un son si doux »… « De cette manière, le service liturgique se fait toujours accompagné d’instruments de musique et rien ne contribue autant à favoriser leur recueillement et dévotion ».
extrait de la pastorale de zipoli
Le Père Sepp fut envoyé à la mission des Trois Rois Mages à Yapeyu, à laquelle il donna un grand prestige musical. Yapeyu (conservatoire du Paraguay – aujourd’hui territoire argentin) se transforma d’abord en un asile de fou, puisque tous voulaient être musiciens, et comme il n’y avait pas d’instruments pour tout le monde, les indiens se sont débrouillés pour faire de multiples répliques, conforme aux modèles amenés par le grand Sepp, et Yapeyu se transforma soudain en grand conservatoire musical du Rio de la Plata. Sepp fut envahi par les missionnaires qui lui envoyaient leurs musiciens pour qu’il les instruise aux nouvelles méthodes tellement différentes de celles préexistantes comme le jour et la nuit. Le Père Furlong, s.j.
Dans une autre lettre écrite en 1723 par le Père Strobel, celui-ci nous en dit plus :
« Il y a quelques jours nous avons écouté les musiciens de la réduction de Yapeyu qui ont chanté à plusieurs voix. Il y avait deux sopranes, deux contraltos, deux ténors et deux basses, accompagnés de deux harpes, deux fagotes, deux tambourins, quatre violons, plusieurs violoncelles et autres instruments analogues. Ils chantèrent ici les vêpres, la messe, les litanies, avec d’autres cantiques, de telle manière, avec tant de grâce et d’art, que celui qui ne les aurait pas eu devant ses yeux aurait cru qu’ils étaient musiciens d’une des meilleurs villes d’Europe venus jouer en Amérique !
Ils ont des livres amenés d’Allemagne et d’Italie, une partie étant imprimée, l’autre copiée à la main. J’ai pu observer que ces indiens gardent la mesure et le rythme avec une aussi grande exactitude que les européens, et prononcent les textes latins avec grande correction, malgré leur manque d’étude ».
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A venir Dominique Zipoli