Sienne aux origines de la Renaissance

Sienne aux origines de la Renaissance

Tel était le titre de l’exposition présentée au Musée des Beaux Arts de Rouen jusqu’au 7 septembre 2015 pour découvrir « une autre Renaissance », comme nous y invitait son directeur Sylvain Amic, tant il est vrai que la Renaissance florentine érigée en modèle a fait oublier les innovations de sa rivale dans l’art pictural.

L’occasion d’en savoir plus, avec le professeur Thelamon

Rivales, les deux cités le furent en effet. Reconnue en 1186 par Frédéric Barberousse empereur du Saint-Empire romain germanique, Sienne se range derrière les gibelins, tandis que Florence relève du parti guelfe et soutient le pape ; il s’ensuit trois siècles d’affrontements. Vaincue en 1287, Sienne devient guelfe, mais paradoxalement elle connaît alors une période de prospérité et de rayonnement culturel sous le gouvernement des Neuf. Le Palazzo Publico est édifié doté d’une tour aussi haute que le campanile de la cathédrale, signe d’égalité entre les pouvoirs civils et religieux. Dans la Salle des Neuf l’idéal d’un état fondé sur la justice est représenté par la longue fresque des Effets du bon et du mauvais gouvernement peinte entre 1337 et 1340 par Ambrogio Lorenzzeti. Cette première mise en images d’un programme civique, véritable jalon dans l’histoire de l’art, est un des premiers paysages panoramiques depuis l’Antiquité.

salle des 9

A Sienne comme à Florence, les sujets religieux dominés au cours du Moyen Age par l’esthétique byzantine demeurent dominants mais leur traitement évolue. Élèves de Cimabue, le Florentin Giotto introduit une représentation naturaliste plus révolutionnaire, tandis que le Siennois Duccio garde une grande part de l’héritage byzantin, dont ses élèves Simone Martini et les frères Lorenzzeti, Ambrogio et Pietro, s’affranchissent petit à petit créant une véritable « École siennoise ». Elle est marquée par l’attention portée au coloris, l’élégance des figures, la naissance du portrait. Ainsi ces quatre médaillons, réalisés en Avignon à la cour des Papes, par Simone Martini.

Portrait des prohètes
Portrait des prohètes

Même si le fond d’or est encore présent, le paysage apparaît petit à petit en arrière fond ouvrant sur la beauté du monde environnant, avec une recherche de perspective. Mais surtout les corps semblent prendre vie quand les personnages deviennent plus réalistes, aux traits plus humanisés exprimant émotions et sentiments, aux attitudes plus souples, plus proches du quotidien.

Ainsi, en ce début de XIVe siècle, la figure de Marie est-elle mise en valeur de manière plus humaine, plus douce. Son lien avec l’enfant est plus intime, tendre, sensible. C’est le cas dans ce tableau de Simone Martini (fig.3) qui présente, sur fond d’or certes et encore proche du modèle byzantin, une Vierge en majesté, bien droite mais pleine de douceur, au modelé délicat, au regard songeur tourné vers le spectateur auquel elle présente Jésus. Mais au centre la main délicate de Marie, aux doigts effilés, enveloppe la petite main de l’enfant qui, d’un geste quasi réaliste, lui agrippe le pouce . Geste tendre de la mère, geste confiant du bambino joufflu aux boucles blondes, potelé sous le drapé transparent qui le couvre ; souplesse du tissu rouge tout en rondeur qui l’enveloppe, en contraste avec les plis plus saillants du manteau sombre tramé de fils d’or de la mère. L’attention de cet enfant sublimé par une auréole enrichie de pierres précieuses, semble retenue par une vision qui l’intrigue.

Avec Ambrogio Lorenzetti, le lien entre la mère et l’enfant est plus fort encore (fg. 4). Le fond d’or où se noient les auréoles maintient le caractère divin d’une figuration humanisée, faut-il dire plus incarnée, du sacré,. On y voit une maman à l’attitude plus souple toute en courbes, qui serre dans ses bras, joue contre joue, comme pour le rassurer, un bébé un peu craintif qu’elle regarde avec tendresse mais non sans gravité. Rassuré par le contact du corps de sa mère, s’appuyant sur son épaule, il lui entoure le cou de son petit bras et s’agrippe à son voile ; elle le soutient de ses longues mains. La scène est intimiste, tendre et touchante, mais avec une note d’inquiétude suscitée par le regard anxieux de l’enfant fixé sur un ailleurs indiscernable. Or il tient contre lui un chardonneret.

Marie par Ambrogio Lorenzetti 3

C’est une des premières représentations de cet oiseau symbolique dans la main de l’enfant Jésus. Oiseau qui se nourrit d’épines, le chardonneret évoque le sacrifice à venir de Jésus couronné d’épines, le corps lacéré et ensanglanté. Le plumage en partie rouge de l’oiseau renvoie au sang versé pour le salut de l’humanité. Faut-il voir dans le regard de l’Enfant-Dieu la prévision de son destin, une angoisse qui préfigure Gethsémani, en même temps que l’acceptation de la volonté du Père. Faut-il voir encore dans la tunique qui l’enveloppe l’évocation de la tunique sans couture du crucifié qui ne sera pas déchirée mais tirée au sort . Faut-il voir déjà – parce que nous connaissons la suite – le geste de la Mère qui serrera avec la même tendresse le corps descendu de la Croix.
Mais à Sienne la peste noire tue en 1348 plus de la moitié de la population. Comme bien d’autres peintres, les frères Lorenzetti sont emportés ; leur atelier disparaît . La crise politique entraîne la chute du gouvernement des Neuf. Les peintres de la fin du siècle reprennent les compositions de leurs aînés. Sienne vaincue par Florence en 1555 vit sur son passé et tombe dans l’oubli, conservant un patrimoine qui sera redécouvert par les voyageurs du XIXe siècle.

En savoir plus sur l’exposition

Légende des photos :
Fig. 1 : Simone Martini, Quatre prophètes, Avignon, Musée du Petit Palais.
Fig. 2 : Ambrogio Lorenzetti, les effets du bon et du mauvais gouvernement sur la vile et sur la campagne, Sienne, PalazzoPublico, salle des Neuf.
Fig. 3 : Simone Martini, Vierge à l’enfant, Sienne, Pinacothèque nationale.
Fig. 4 : Ambrogio Lorenzetti, Vierge à l’enfant, Sienne, Pinacothèque nationale.

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Françoise Thelamon

Françoise Thelamon

Agrégée d’Histoire et géographie. docteur es Lettres et ancienne élève de Henri-Irénée Marrou, Françoise Thélamon est professeur émérite en histoire de l'antiquité à l'Université de Rouen. Spécialiste de l'histoire du christianisme et en particulier de Ruffin d'Aquilée, elle est présidente de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Rouen.