Cheyenne-Marie Caron signe ici un très beau diptyque sur le thème de l’identité, n’ayant pas peur de « mettre la peau sur la table » et de s’attaquer à ce problème de société, tout en en révélant les sources et les conséquences avec beaucoup de cœur. Un film en noir et blanc, comme pour insister sur l’essentiel.
Sébastien s’installe en banlieue avec sa mère, et fait la connaissance de Pierre, un jeune français d’origine camerounaise avec qui il sympathise très vite et qui l’intègre dans sa bande d’amis. Malgré sa volonté de se faire aimer, il se heurte rapidement au racisme de deux noirs de la bande, qui après avoir renversé quelqu’un sur un scooter, commencent à avoir des problèmes avec la police. Sébastien est injustement soupçonné de les avoir dénoncés, et sa vie devient un enfer ; il s’aperçoit que c’est Pierre qui a trop parlé, mais celui-ci n’ose rien dire de peur de se faire rejeter par la bande. Immanquablement, leur amitié s’étiole et Sébastien refuse de voir Pierre…
Pierre se retrouve alors dans la solitude et les regrets d’avoir sacrifié son amitié par lâcheté, ce qui le mène dans une très belle introspection, à la recherche d’un sens à sa vie, qu’il finira par trouver au fur et à mesure de rencontres le ramenant à s’interroger sur ses origines : autant de différents modèles qui feront ressurgir dans son cœur ce besoin de s’enraciner afin de pouvoir grandir, tel un arbre. Pierre refusera l’assistance de l’État, parce qu’il ne proposera de l’aider que s’il reste en France, au lieu de comprendre son désir de créer son entreprise dans le pays de ses ancêtres…
L’histoire se termine sur une belle note d’espérance, où l’on voit que c’est bien en assumant ses propres racines qu’on peut pleinement s’ouvrir aux autres.
Le film est innervé par ce grand désir d’identité et d’enracinement, manque lié à la faiblesse ou l’absence des pères : le père de Sébastien est aveugle, et celui de Pierre est mort. Les mères tentent de combler désespérément ce vide par leur sacrifice, mais l’histoire révèle à quel point cela est impossible, que ces jeunes doivent s’affirmer par eux-mêmes et trouver l’autorité qui leur permettra d’affronter leur destinée, d’assumer leur patrie au sens le plus général, c’est-à-dire leur terre, leur culture, leur famille…
Ici, Cheyenne-Marie Carron nous montre encore une fois son grand talent, cette « double vue » balzacienne qui lui permet avec une équipe de comédiens et de techniciens de très grande qualité, et malgré un budget dérisoire, de mettre en scène l’être humain dans sa complexité contemporaine, où le désir mimétique s’affirme à travers le conflit de civilisation par une peur commune du déracinement provoqué par la mondialisation. Face à cela, il semble n’y avoir que deux solutions : l’imitation réciproque, c’est-à-dire l’assimilation dans les deux sens, où les cultures se dissolvent dans un mélange sans racines qui conduira inévitablement à des rivalités, ou bien le repli identitaire sur soi en opposition à l’autre, qui s’avère être aussi un mimétisme : la haine finit en effet par faire se ressembler deux adversaires, qui se repousseront d’autant plus fort qu’ils se ressemblent dans leur répulsion, comme deux aimants de même pôle. Ces deux possibilités proposées par les médias et les politiques actuels ne conduisent qu’à la violence, mais nous comprenons clairement grâce à ce film que la seule vraie solution réside dans le fait d’assumer pleinement sa culture et son identité dans son ensemble, afin de l’accomplir au-delà des préjugés et des prétendues nécessités économiques, des choix familiaux, de l’opinion générale, des structures administratives… La liberté et la joie se trouvent dans le sacrifice librement choisi, en harmonie avec soi-même, sans pleurnicherie ni justifications… C’est faire corps avec le « je suis » que nous prononçons si facilement mais pas toujours en accord avec la réalité, dans un monde où il est plus facile de s’habiller de codes, de comportements pré-construits, de tout un ensemble de colifichets qui nous empêchent de nous assumer pleinement en tant que personne, toutefois enracinée dans une terre, une famille. Il n’y a pas de liberté sans enracinement, et le symbole de l’arbre en est le meilleur exemple.
Cette autorité, cette affirmation de l’être dans sa force mais aussi dans sa douceur, est la meilleure lutte contre la violence, et nous en voyons le chemin dans le christianisme, saupoudré délicatement dans le film, à travers différents symboles, différentes situations (par exemple, la figure du Christ se retrouve dans le rejet injuste que subit Sébastien, qui fera beaucoup méditer Pierre)… Le message incarné qu’est le Christ est un exemple de vie, au-delà des mots, par son autorité : il s’affirme en effet par la force de son être, sans chercher à se justifier ou à être plaint, sans avoir une emprise sur les autres. Par cette autorité, le Christ révèle toujours la violence.
Voilà enfin un moyen d’éviter le fameux conflit de civilisation que nous redoutons tant.
Rare sont les films aujourd’hui révélant cette autorité, car il est bien plus facile de se contenter de pré-constructions, de préjugés. Ce film est à l’image de Cheyenne-Marie, réalisatrice courageuse, ne reculant ni devant les mesquineries du CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée), ni devant les pressions idéologiques colportées par la médiacratie actuelle, ni devant le peu de moyen dont elle dispose. Ces obstacles ne l’empêcheront jamais de déployer sa gracieuse fougue et de nous offrir le meilleur d’elle-même. Nous lui souhaitons le plus grand succès !
A voir au cinéma : Le Balzac
Disponible en DVD à la Fnac
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