
Une fois n’est pas coutume, les américains ont une appétence pour les recettes qui mélangent sans discernement ni modération tous les ingrédients qu’ils aiment. Hollywood nous sert ainsi avec une loyauté assidue du gigot d’héroïsme à la sauce patriote sur fond d’apocalypse, le tout en musique-qui-vous-fait-regarder-l’horizon. Sans parler des filles au casting assumé, des dialogues peints au rouleau ou du happy end attendu. C’est bon, c’est calorique, ça se vend comme des petits pains.
Mais quelques réalisateurs, trop rares pour être dédaignés, sortent du lot et savent faire preuve de bon goût. Ils puisent dans le creuset de leur imagination le savant dosage de tous ces ingrédients sans les omettre. C’est le cas de Christopher Nolan, dont la dernière création mérite examen.
Quelques réalisateurs, trop rares pour être dédaignés, sortent du lot et savent faire preuve de bon goût.
Interstellar, c’est l’histoire d’un ex-pilote d’essai pour la NASA, retrouvé fermier après que le gouvernement ait décrété les activités astronautiques inutiles pour l’humanité. Le monde est en effet menacé par les tempêtes, la poussière et les maladies qui ravagent les récoltes, et chacun doit concentrer ses activités à l’essentiel : se nourrir. Quelques événements troublants viennent titiller le cœur de cet incurable aventurier, et le voilà embarqué dans une mission spatiale secrète pour trouver à travers un wormwhole (sorte de tunnel dans l’espace-temps) une autre planète où pourrait se reloger l’humanité. La théorie, quelque homérique qu’elle puisse paraître, est en réalité bien scientifique (cf Kip Thorne et Carl Sagan) et le rendu dans le film est saisissant. On se surprend au bout de 2h30 à se rappeler qu’il s’agit de science-fiction, alors que l’acheminement de la raison s’est fait sans grand encombre jusque-là. Et l’on appréciera -ou pas- que les vases communiquant entre le détail scientifique et le détail scénaristique se soient fait au profit du premier, faisant sans embarras des raccourcis grossiers sur le second. Cela laisse plus grande place à la naissance de réflexions sur le quotidien des astronautes, le vide abyssal des immensités célestes ou la perception du temps (imaginez passer quelques instants sur une planète où chaque heure équivaut à 7 ans sur la nôtre : souhaiteriez-vous revenir sur Terre revoir vos proches?).
La théorie, quelque homérique qu’elle puisse paraître, est en réalité bien scientifique et le rendu dans le film est saisissant.
Le casting de choix donne aux « héros » les couleurs ternies qu’on apprécie chez Nolan ; et la musique qui l’accompagne scelle une nouvelle fidélité qu’on porte à Hans Zimmer par les grandes orgues entrecoupées de silences ravivant l’adrénaline des plus avertis.
Mais comme tout génie, le talent ne se situe pas seulement dans la capacité de son auteur à créer une œuvre harmonieuse et en symbiose avec les ingrédients du moment, mais de savoir tirer de cette harmonie une incongruité, une surprise qui donne une nouvelle orientation à l’œuvre. Ici, à chaque virage le spectateur est bousculé dans le confort de ses attentes, il en vient même à douter –suprême frisson- de la fin heureuse tant attendue. On s’accroche alors à ce qu’on connaît, Gravity pour le mutisme de l’espace, Inception pour la distorsion du temps, … mais de nouvelles spirales scénaristiques nous renvoient constamment sur de nouveaux horizons. La propulsion vers la fin de l’histoire, quoiqu’impossible à anticiper et exaltante à découvrir, ne laisse quand même pas la réflexion propre à de nombreux grands films : « je l’ai vu, je ne le regarderais pas une deuxième fois ». L’expérience est à revivre.
Le talent de son auteur est de savoir tirer de cette harmonie une incongruité, une surprise qui donne une nouvelle orientation à l’œuvre.
Quelques erreurs de dosage viennent tout de même nuancer l’œuvre, à commencer par le charabia scientifique que l’on sait désormais plausible, mais qui nous conforte dans le paradoxe bien ancrée des productions américaines: plus le vocabulaire est incompris, et plus grand est le réalisme. La présence d’un authentique « méchant » qui met en péril la vie des héros, la mission, et l’humanité toute entière n’était pas non plus nécessaire, mais l’on pardonne cette concession faite au show-biz (Matt Damon incarne ledit méchant). De même que l’on comprend le coup de la congélation humaine pour faire voyager dans l’espace ces astronautes aux vies multiséculaires. Mais alors, qu’on m’explique le flacon d’eau de rose « peu importe la distance, seul l’amour peut traverser l’espace-temps sans déformation ». La tarte à la crème de morale WASP n’était pas impérative, mais elle est visiblement une des signatures de notre scénariste.
Pour finir sur des touches plus enlevés, de toute la profondeur scénaristique et scientifique du film, seul le talent d’un grand réalisateur a pu en faire également un plaisir visuel de paysages terrestres ou cosmiques, et les bonnes vieilles punchlines à la Chuck Norris ne manquent pas non plus au rendez-vous. On aimera particulièrement l’humour caustique –presque empanaché- dans les moments les plus tragiques. Comme dirait un ami qui nous veut du bien, « le panache c’est un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime».