
Hannibal. Ce nom en lui-même revêt un aspect antique et guerrier. Hannibal Barca est le grand général carthaginois qui passa le col des Alpes avec ses éléphants et faillit mettre Rome à genoux. Hannibal Lecter, personnage romanesque, incarne lui aussi une certaine idée de l’horreur.
Le docteur Hannibal Lecter est un aristocrate lituanien qui partage son temps libre de psychanalyste entre les opéras de Baltimore et la cuisine à base de cadavres frais. Ce sociopathe cynique et esthète a été développé dès 1981 par l’écrivain Thomas Harris dans le livre Dragon Rouge.
La dernière adaptation de ce personnage fascinant est une série télévisée, Hannibal créée par Bryan Fuller en 2013, où l’acteur Mads Mikkelsen endosse la peau du tueur charmeur. Cette série, produite par NBC, est de loin la plus intéressante des adaptations de l’œuvre littéraire car elle apporte une esthétique particulière et profondément perverse.
Un esthète aux goûts particuliers
Tout d’abord, le personnage d’Hannibal est toujours impeccable, rasé de près, ses costumes tirés à quatre épingles et sa coiffure léchée donnant une prestance particulière au personnage.
Ce n’est pas le tueur en série fou, hanté par ses perversités qui est mis en scène. C’est un esthète, amateur de Bâtard-Montrachet et de truffes blanches, esquissant un détail de Botticelli entre deux exécutions sommaires.
Loin d’être un turbulent criminel assoiffé de sang, Hannibal est un homme tout en réserve, préférant la manipulation mentale aux actions d’éclats. Pour cela, Mads Mikkelsen est parfait. Son visage émacié et son sourire carnassier confère une aura particulière au personnage.
Une atmosphère lugubre
Ensuite, d’un point de vue technique, la caméra est souvent proche de son sujet. Lorsque Hannibal prépare ses festins macabres, on peut admirer les pièces de viande transformées par les couteaux aiguisés du héros. La minutie et la qualité de l’image éveilleraient presque les papilles si on ne connaissait pas la provenance de la viande…
Encore, dans les nombreux dialogues entre le policier Will Graham et Hannibal la caméra est souvent proche de leurs visages. Ainsi, ces interactions apparaissent comme une lutte où le langage, la gestuelle et les mouvements du corps, des yeux jouent un rôle particulier.
Cette ambiance créée par la caméra est rehaussée par un environnement musical particulier. Ici, point de chansons langoureuses ou de variétés pop. Le fond sonore est généralement des bruits humains, une respiration haletante ou un cœur qui bat ; ce peut être encore des sons d’instruments servant à rehausser le frisson du spectateur, le générique en est un exemple parfait.
Générique de la série Hannibal
Une délicate violence
Il y a rarement dans la série des éclats de fureur, des explosions ou autres fusillades féroces. La violence est définitivement plus subtile car Bryan Fuller le sait : le Diable est dans les détails. Est donc accordé un soin particulier aux dialogues qui sont autant de piques assassines et relèvent d’une volonté de rentrer dans la tête du tueur.
Pour autant, il y a une violence physique dans Hannibal mais celle-ci est savamment orchestrée par des ralentis qui permettent de disséquer l’action et ainsi contempler toute l’horreur d’un égorgement ou d’une immolation par le feu.
Un onirisme fantasmagorique
L’un des corollaires de cette violence contrôlée est l’explosion de l’onirisme. Ce qui ne peut pas ressortir dans le monde réel revient, tel un ersatz, sous sa forme onirique. Ainsi, la série développe ce thème de l’onirisme qui permet une meilleure analyse de la psychologie des personnages.
Hannibal est souvent représenté dans l’imaginaire de Will Graham comme un imposant cerf noir aux bois imposants ; représentation à la fois de l’animalité du tueur et de la beauté attrayante de l’homme.
Dans la dernière saison, Francis Dolarhyde, le tueur qui se fait appelé le « Grand Dragon Rouge » subit lui aussi cette épanchement onirique. Tout au long des épisodes, on peut voir sa personne changée et devenir in vivo la bête fabuleuse de Gustave Dorée.
Une sensualité perverse
In fine, on peut dire que la série est extrêmement sensuelle et c’est ici l’intérêt supérieur de cette œuvre : le tueur Hannibal Lecter, comme tout sociopathe, est un pervers dans le sens où sa conduite est étrangère à toute morale. Mais la perversité est aussi, comme son étymologie l’indique, « détourner quelque chose de sa propre nature ». Et c’est précisément ce que réalise la série.
Grâce à une esthétique soignée et envoutante, elle nous offre sous un jour favorable ce qui est mauvais. Tout comme Hannibal transforme ses victimes en banquets alléchants, la série nous apporte sur un plateau, l’horreur parée des plus beaux atours.