Voilà bien un lieu commun de la Doctrine sociale que de s’intéresser au management. Du moins l’engouement actuel chez les catholiques pour ce tandem le laisse-t-il supposer. Bien entendu la D SE est beaucoup plus large que la question du management. Mais nombre de managers, coach et formateurs chrétiens se réclament d’elle pour présenter ce que nous pourrions peut-être appeler une ou des « écoles » de management. Et ces dernières années, elles se sont multipliées avec des couleurs différentes : Renouveau charismatique, ignatienne, bénédictine, pour ne citer que les grandes lignes d’inspirations qui me viennent à l’esprit.
L’idée qui prévaut est celle d’un management respectueux de la personne. En cela rien de spécifiquement Doctrine sociale. Mais dans le monde du travail, cette manière d’être un leader prend des contours particuliers. Aussi, peut-il être intéressant de se poser la question de ce qu’est un management respectueux de la personne, avant de voir comment y parvenir. Je tiens à préciser tout de suite que je ne prends aucune des « écoles » existantes comme meilleur ou moins bonne, mais plutôt comme complémentaires et dont l’efficacité suppose un discernement cas par cas, tant pour le manager que pour le managé.
Si la dignité de la personne humaine est un des piliers de la Doctrine Sociale de l’Eglise, c’est d’abord parce que c’est un pilier de la morale chrétienne, en un mot de la foi chrétienne. Cela suppose donc d’être au clair sur ce que l’on met derrière cette expression. En un mot : quelle anthropologie défendons-nous ? Entre nous, je dirais volontiers que tout est là et tout suffit. Le reste n’est que la manière avec laquelle nous mettons en musique cette vérité profonde en un lieu et un instant particulier. Je ne vais pas faire un long développement sur l’anthropologie, d’abord parce que je l’ai fait en d’autres lieux, ensuite parce que ce serait bien trop complet pour l’objet de cet article. Mais retenons que la vérité anthropologique, ce qu’est l’Homme en vérité (et non un homme réinventé) est la condition première de son bonheur ainsi que le seul lieu de la réalisation de ce bonheur. Construire le bonheur d’une personne sur une réalité qui n’est pas la personne revient à mettre un pansement sur une jambe de bois.
Or il y a un écho profond entre anthropologie et bonheur. L’homme est créé pour être heureux et c’est avec et à partir de cette réalité qui le constitue que Dieu a destiné l’Homme à être heureux. La finalité ultime de l’Homme, ce pourquoi il a été créé est de vivre dans l’intimité divine. Tout doit concourir à cela. Et le point de départ de cette convergence de tout acte est l’Homme tel qu’il est créé par Dieu en vérité. Il convient donc de savoir qui est l’Homme, pour savoir à partir d’où construire son chemin vers le Bonheur, c’est-à-dire un chemin qui le conduit à l’union intime avec Dieu.
Tout naturellement, de là découle un impératif pour le manager : tous ses actes de manager doivent concourir à l’union intime avec Dieu. Son union personnelle et celle de ceux dont il a la responsabilité. Attention, il ne s’agit pas de jouer les parrains de confirmation, mais de penser son métier, comme la responsabilité d’une âme qu’il s’agit de ne pas entraver dans son avancée vers Dieu et donc dans sa propre réalisation. Aussi le management chrétien n’est-il pas une méthode, un cursus, ni une école applicable à tous les hommes de bonne volonté. Ça c’est le management fondé sur des valeurs chrétiennes.
La manager chrétien a une responsabilité de plus qui consiste à garder la finalité de toute chose : la vie intime en Dieu. Aussi, le chrétien qui manage doit le faire selon sa triple configuration au Christ prêtre, prophète et roi. Avec cette exigence qui est avant tout une spiritualité, une fibre intérieure et qui doit devenir une « vertu », un réflexe, le manager chrétien peut mettre en musique l’ensemble des valeurs qui font le manager chrétien. Mais on peut être manager chrétien sans être chrétien, pour peu qu’on adhère et applique une certaine « méthode », des valeurs clefs et ce quelle que soit la couleur de notre école. Cela est être manager chrétien et non chrétien manager.
L’un comme l’autre pourront alors étudier, appliquer les préceptes, conseils, orientations de la Doctrine Sociale de l’Eglise. Le premier le fera comme un cadre de pensée auquel il adhère, pour diverses raisons. Le second le vivra comme une vocation baptismale.
Ayant dit cela nous pourrions nous arrêter dans le détail et même donner des formations assez poussées. Mais la clef, l’âme est là. C’est comme chrétien que l’on est manager et non comme manager qu’on est chrétien. Cela change toute la perspective et la responsabilité, devant les hommes, comme devant Dieu, car cela devient réellement une mission baptismale.
Cyril Brun
Anthropos Consultant