Perdre la maitrise de notre patrimoine, c’est perdre une partie de ce qui fonde notre identité.
En ces temps difficiles pour la culture nous republions cet article de mai 2014, comme une alerte de fond face à d’éventuelles tentation d’abandon de notre culture
« Et si on allait visiter le Théâtre Cheikh Khalifa Bin Zayed al-Nahyan ce week-end ? » Cette phrase, vous pouvez l’entendre, non pas dans un pays de la péninsule arabique mais… en France. Plus précisément à Fontainebleau, charmante ville de Seine et Marnes riche de huit siècles d’histoire, qui accueillit plus de 34 souverains français de Louis VI à Napoléon III, en passant par François Ier ou Napoléon.
Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas le fameux château en lui-même qui fait l’objet de toutes les attentions, mais son théâtre du second empire, jusque-là prénommé Théâtre Impérial, construit dans l’aile de Louis XV, par l’architecte Hector Lefuel. Inauguré par Napoléon III en 1857, il ne fut utilisé que sporadiquement pendant une dizaine d’années, avant de tomber dans l’oubli. Oubli qui va bientôt cesser grâce à l’émirat d’Abou Dhabi qui a alloué une enveloppe de 10 millions d’euros pour sa restauration. Cette décision fut prise en 2007 par un accord entre l’émirat et le gouvernement français, dans la lignée de celui conclu pour la création du Louvres d’Abou Dabi. C’est dans le cadre de cet accord qu’il fut décidé qu’en contrepartie le théâtre serait débaptisé au profit de son mécène.
La restauration d’un monument coûte très cher, et le budget alloué au patrimoine est en diminution continue (près de 10% entre 2012 et 2013). Avec un désengagement croissant de l’état dans la restauration de l’immense patrimoine culturel de la France, les mécènes deviennent des acteurs clef. Mais l’accord de mécénat concernant le théâtre impérial amène à s’interroger sur la gestion de notre patrimoine culturel.
Que la France ait à recourir à l’aide financière de pays étrangers pour la restauration de fleurons de son patrimoine est préoccupant. Mais qu’elle en vienne à accepter d’en rebaptiser certains du nom de leurs mécènes, sans aucune cohérence culturelle, l’est encore plus.
L’accord de mécénat concernant le théâtre impérial amène à s’interroger sur la gestion de notre patrimoine culturel.
Ainsi, le château de Fontainebleau, classé monument historique et inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, représentatif d’un art de vivre français aura, entre ses appartements royaux, sa galerie François Ier et sa chapelle Saint-Saturnin, un théâtre au nom d’un cheikh qui n’a pourtant aucun lien avec son histoire.
Notre ministre de la culture, si prompte à critiquer en 2012 la société Wendel, dynastie industrielle lorraine, qui avait obtenu le droit de donner son nom au nouvel auditorium du Centre Pompidou Metz en contrepartie de son mécénat, n’a, cette fois-ci, rien trouvé à redire concernant le théâtre Impérial. Une contrepartie jugée indigne pour un mécène français concernant un nouveau musée mais acceptable pour un mécène étranger au sujet d’un monument historique, donc.
Manque de cohérences culturelle et politique, désengagement, recours de plus en plus fréquent à des mécènes étrangers… Il est nécessaire de repenser la gestion de nos monuments, car perdre la maitrise de notre patrimoine, c’est perdre une partie de ce qui fonde notre identité.