Chine, la force du paradoxe

Chine, la force du paradoxe

Le touriste ou l`observateur plus averti ne manqueront pas d`être saisis par le caractère paradoxal de la société chinoise. L`usine du monde, telle que se la représente l`occident, apparaîtra en effet comme l`union des contraires, celle de la juxtaposition d`une société traditionnelle et de la modernité la plus poussée, d`un individualisme à l’égoïsme échevelé associé à des pratiques et des solidarités collectives intangibles.

Le petit marché s’installera sans vergogne à la devanture du gigantesque grand magasin, la vie et l’activité ne semblent jamais s’arrêter, laissant croire à des horaires de travail interminables, alors même que des milliers de flâneurs goûtent un repos ponctué de chants, de discussions homériques et autres activités récréatives ; le passant, la nuée de passants, n’hésitera pas à vous bousculer pour gagner un mètre, dix centimètres, en vous ignorant superbement, et dans le même temps l’urbanité des chinois est sans nul doute la plus profonde, et l’accueil réservé toujours des plus courtois. Ce caractère ambivalent a, de tous temps, frappé les occidentaux, suscitant tout à la fois fascination et mépris ou condescendance. La Chine est ainsi, complexe et pourtant si simple, capable tout autant de dominer le monde que de le subir, comme elle l’a vécu tout au long de son histoire.

Pourtant, les sinologues les plus éminents s’inquiètent, sans doute avec raison, de la possible Implosion de la société chinoise, née de l’affrontement entre le monde des campagnes et celui des villes, du désir supposé de démocratie, du hiatus de plus en plus profond entre les plus riches et les plus pauvres. Outre les répercussions nationales, l’impact mondial dépasserait de loin celui du choc pétrolier de 1973. Cette éventualité n’est pas étrangère aux dirigeants chinois, qui veillent à la préservation de ce fragile équilibre, comme elle l’est aux autres leaders mondiaux dont l’attention se révèle, elle aussi, paradoxale, avec un mélange de craintes et d’espérance.

Oui, la Chine est en ébullition et nul ne peut prédire si la cocotte contraindra ou non le flot. Oui, l’avènement d’un communisme de marché est un challenge à ce jour inusité et, par conséquent, risqué. Oui, les affrontements communautaires, ethniques ou religieux sont à envisager, voire déjà en cours.

Mais l’histoire de la Chine est ponctuée de ces tensions, dont certaines ont effectivement conduit aux plus grandes pertes humaines, mais qui ont façonné ce pays, sa culture, son paradoxe et sa formidable capacité d’adaptation et d’intégration. Les Hans ont souvent perdu la guerre, du moins en bataille, pour finalement l’emporter en phagocytant leurs dominants, en sinisant leur culture, leurs pratiques, en transformant l’ennemi en chinois.

De même, au-delà des plus profondes remises en cause qui lui ont été opposées, jusqu’aux plus récentes, toutes ont buté à terme sur la permanence de la société traditionnelle. Si cette résistance n’a pas la certitude scientifique, sa force frappera tout autant l’observateur dans le quotidien chinois, dans le respect des anciens, combattant encore efficacement l’argent roi, le sinisant et, de fait, l’humanisant dans un hybride forcement paradoxal. Ce paradoxe, source d’inquiétudes fondées, mais avant tout fondement et rempart, barrage pouvant rompre à tout moment mais qui sera, au-delà, la base de reconstruction.

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Laurent Leclerc

Professeur d'histoire, normand engagé en Normandie, père de famille