Rapport OCDE novembre 2013, L’école au prisme de la compétitivité : un regard inadéquat

Rapport OCDE novembre 2013, L’école au prisme de la compétitivité :  un regard inadéquat

    L’OCDE a publié le 14 novembre dernier un nouveau rapport sur la France, intitulé « FRANCE Redresser la compétitivité » . Parmi les neuf chapitres qui le composent, le septième est intitulé : « Améliorer la performance du système éducatif ». A une époque où, une fois de plus, la question scolaire est mise sur le devant de la scène politique, il n’est pas sans intérêt d’examiner ce qu’en disent les « sages » de cette Organisation. Et force est de constater que leur vision de l’école ne laisse pas d’être préoccupante. Deux traits majeurs s’en dégagent : une vision utilitariste de l’école, et une approche technique et égalitariste du savoir. Le premier pourrait sembler se justifier au regard de l’approche économique des choses qui est celle du rapport, mais même dans ce cas, le second n’est pas du tout pertinent. En fin de compte, les principes de l’approche globale doivent être rejetés.

    Le titre du chapitre VII est en lui-même déjà évocateur. Parler de performance, c’est se situer dans la perspective de l’utile. C’est aussitôt confirmé par le recours à « l’évaluation PISA qui évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne » . L’école doit donc transmettre des savoirs pratiques et techniques. L’enseignement est justifié comme instrument de la croissance économique. Admettons par hypothèse ces présupposés. Quelle est à leur aune la situation de la France ?

    Un constat biaisé

    Elle a, selon le rapport, « de bons résultats en moyenne mais [présente] des inégalités croissantes ». La croissance du nombre de diplômés du supérieur sur les quarante dernières années permet au rapporteur d’affirmer ces bons résultats. Mais il est évident que, d’une part, une telle affirmation n’a de sens qu’à niveau d’études constant. Or, tout le monde sait que tel n’est pas le cas, et le rapport se garde d’entrer dans la discussion. Par ailleurs, c’est juger le niveau de compétence par le seul diplôme, conçu comme laisser passer vers les métiers. Mais la valeur de ces diplômes, leur pertinence économique même n’est pas questionnée. Comme si le phénomène des surdiplômés sans emploi, ou sous-employés, n’était pas une réalité depuis de nombreuses années déjà. Enfin, si la réalité des résultats individuels, ou catégoriels, s’oppose à l’approche statistique moyenne, cela laisse entrevoir qu’il serait mieux que la moyenne reflète une homogénéité des résultats. Donc, que l’homogénéité est en soi préférable à la disparité, et, comme le critère est l’utile, qu’elle est plus efficace. On peut douter d’un tel raisonnement. Le propre du talent n’est-il pas de se distinguer ?

    Une philosophie libérale inadaptée à la réalité de l’école

    Enfin, on peut remarquer qu’il y a une contradiction entre l’efficacité économique recherchée par l’OCDE, et la recherche d’une égalité sociale. Non seulement, celle-ci ne peut que conduire à une relative uniformité qui arase les talents, mais n’est-il pas évident qu’il n’y a de société qu’à partir du moment où il y a une diversité interne au groupe, qui ne peut que se traduire par des inégalités sociales, et qui suppose des inégalités de compétence ? A charge pour le politique de faire en sorte que les inégalités soient justes, c’est-à-dire rentrent dans des rapports de complémentarité effective entre les membres du corps social. Mais comment veut-on qu’une économie nationale fonctionne bien sur la base d’une forte égalité ? Sauf à supposer qu’une telle économie nationale n’est qu’une région de l’économie monde, avec une spécialisation de chaque nation. Un scénario à coup sûr destructeur de la société.

    La logique libérale de l’OCDE est du reste frappée d’une hypocrisie manifeste. Car l’uniformisation sociale ne peut prospérer (relativement) que s’il y a des travailleurs pauvres, nouveau prolétariat exclu du coeur social, et que, une fois les campagnes vidées, on doit faire venir de l’étranger. Est-il étonnant que les enfants de ce déracinement soient ceux qui rencontrent le plus de difficultés à l’école ?

    En fin de compte, un tel rapport est très insatisfaisant, et même nuisible intellectuellement. Sa vanité est prouvée par l’expérience : depuis le temps que l’OCDE nous abreuve de sa prose, quel bénéfice réel en est résulté ? Sa nuisance tient à ce qu’il entretient la paresse intellectuelle, et empêche d’envisager la question de l’éducation de manière sérieuse. Ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est modifier en profondeur la manière dont on éduque les enfants en France, et en occident en général. Mais pour cela, il faut commencer par concevoir différemment l’éducation et l’école. C’est donc la conception du savoir, et donc de l’homme qui apprend et qui sait, et des finalités qui sont les siennes qui sont à repenser. L’ambition de l’OCDE est « promouvoir des politiques meilleures pour une vie meilleure ». On ne peut qu’être perplexe sur sa conception de la vie.

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Guilhem Golfin

Guilhem Golfin

Docteur en philosophie, Guilhem Golfin est enseignant en lycée à Paris. Il s'intéresse tout particulièrement aux questions d'éducation, dans le cadre d'institutions telles que l'Institut éthique et politique Montalembert, dont il est directeur du comité scientifique, et la Fondation pour l’École.