Légalisation du Cannabis, la réponse du Pr Costentin à M. Le Guen

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Réponse à la légalisation du cannabis proposée par J.-M. Le Guen, Acte II –
Aspects médicaux
Pr. Jean Costentin
Président du Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies (CNPERT)

Le premier ministre, le ministre de la ville, la ministre du travail et la ministre de l’éducation nationale ont annoncé diverses mesures destinées à éteindre l’embrasement naissant de lycéens et d’étudiants qui manifestent contre un projet de modification du code du travail. Depuis Mai 1968 et les manifestations contre le C.P.E., le « pouvoir » est tétanisé par les sursauts de la jeunesse. Aussi, s’est-il empressé d’engager des concertations et de signer quelques chèques, tandis que le secrétaire d’état aux relations avec le parlement, J.-M. Le Guen, cerise sur ce gâteau, a ranimé la perspective d’une légalisation du cannabis. Dans un récent billet (« Acte I »), j’ai analysé les raisons de l’inefficacité de la prohibition du cannabis, attestée par la consommation record des jeunes français en Europe. Cette analyse faisait apparaître, en creux, ce qu’il faudrait changer pour qu’elle fonctionne.

Dans cet « Acte II », j’aborde les conséquences sanitaires qu’aurait la légalisation de cette drogue requise par M. Le Guen, ses lointaines études médicales n’ayant manifestement pas bénéficié d’une actualisation de ses connaissances quant aux méfaits sanitaires du cannabis et de son tétrahydrocannabinol (THC). Pour pallier cela, nous allons énumérer les données qu’il devrait connaître, avant de jeter en pâture à l’opinion sa proposition irresponsable de légalisation. Soulignons en préambule que ce n’est pas lorsque les produits en circulation sont exceptionnellement dosés en THC (taux multipliés d’un facteur 5, au cours des 20 dernières années) ; que ce n’est pas quand se développent de nouvelles modalités d’administration de cette drogue, qui permettent une cession bien plus que décuplée du THC à l’organisme (vapoteur, nébuliseur et la pipe à eau, appréciée des plus jeunes encore malhabiles à rouler des « joints ») ; que ce n’est pas au moment où apparaissent sur le marché de très puissants cannabinoïdes de synthèse ; que ce n’est pas maintenant qu’on dispose des preuves des multiples méfaits physiques, psychiques et psychiatriques du cannabis et de son THC, qu’on doit laisser s’abattre les murailles de la prohibition, fissurées par les prolégalisateurs qui soufflent pour la septième fois dans leurs trompettes de Jéricho, afin de donner libre cours au tsunami cannabique.

Détaillons les principaux méfaits du cannabis : 1-Les goudrons produits par la combustion de la résine de cannabis sont 6 à 8 fois plus abondants que ceux produits par le seul tabac, de là ses effets cancérigènes, supérieurs à ceux du tabac, pour la sphère O.R.L. et pour l’appareil respiratoire ; 2-Le THC (via les macrophages et certains lymphocytes) déprime l’immunité ; il diminue les défenses antimicrobiennes, ainsi que les capacités d’éradication des cellules devenues cancéreuses ; 3-La combustion de la résine de cannabis (haschich) accroit de 200°C la température de combustion de l’élément végétal, engendrant davantage d’oxyde de carbone (CO) que la combustion du seul tabac. Ce gaz, très toxique, trouble le transfert d’oxygène opéré par l’hémoglobine de nos globules rouges, depuis les poumons qui le captent jusqu’aux tissus qui le consomment. Cette combustion génère aussi 5 à 8 fois plus de goudrons cancérigènes que celle du tabac. 4-Le cannabis est reconnu comme la 3 ième cause de déclenchement d’infarctus du myocarde. 5-Le cannabis est toxique pour les vaisseaux des membres inférieurs, déterminant des artérites (de telles artérites chez des sujets jeunes n’étaient jusqu’alors connues que chez ceux atteints d’une maladie génétique-la maladie de Léo-Buerger). 6-Le cannabis est à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux, chez des sujets jeunes ; pour éviter leur récidive les victimes doivent impérativement cesser leur consommation ; 7-Le THC se concentre dans les testicules. Il réduit au long cours la sécrétion de l’hormone mâle – la testostérone – . Il s’ensuit : une diminution de la libido, une moindre densité des spermatozoïdes dans le liquide séminale et de son potentiel fécondant ; une régression, à un certain degré, des caractères sexuels masculins. De plus, il apparaît responsable d’un type particulier de cancer du testicule, qui s’est récemment développé, le germinome non séminome. 8-Le cannabis abrège la durée de la grossesse, engendrant un nouveau-né de plus petite taille et de plus petit poids que le ferait atteindre cette seule prématurité. Il est observé un risque accru de mort subite inexpliquée du nourrisson. Il est constaté durant l’enfance un risque accru d’hyperactivité avec déficit de l’attention et, à l’adolescence, une plus vive appétence pour les drogues (dont l’explication neurobiologique est connue – cf. infra) ; 9-Le THC perturbe la phase de maturation cérébrale qui s’étend de 12 à 20 ans. C’est malencontreusement dans cette période que débute sa consommation. Il est alors à l’origine de connexions anormales entre les cellules nerveuses / neurones ; qui peuvent être à l’origine de troubles délirants et hallucinatoires ; manifestations caractéristiques de la schizophrénie. Dès 1853 l’aliéniste J.-J. Moreau (de Tours) consacrait un livre (« Du haschisch et de l’aliénation mentale ») aux relations entre le cannabis et ce que l’on appellera bien plus tard la schizophrénie. Dix pour cent des adolescents ayant commencé à consommer du cannabis entre 12 et 15 ans sont diagnostiqués schizophrènes à 18 ans (M.-L. Arsenault – Nouvelle Zélande). Chez les conscrits suédois de 1971 qui n’étaient pas schizophrènes à 18 ans, il a été constaté que ceux qui avaient fumé plus de 50 « joints » avant cet âge, présentaient un risque 3 de devenir schizophrène, multiplié par six, dans les dix années suivantes (S. Andreasson – Suède). 10-Le THC par ses effets sédatifs, enivrants, délirants, hallucinatoires, défocalisateurs de l’attention, perturbateurs de la mémoire à court terme (sans laquelle ne peut s’édifier une mémoire à long terme), par ses effets amotivationnels, par l’altération de la volonté (aboulie) est à l’origine d’importantes altérations de la cognition et des capacités éducatives. Son abus, au long cours, aboutit à une diminution importante et irréversible du quotient intellectuel (Q.I.), qu’une étude récente a estimé à 10 points. Alors que notre pays est de ceux qui consacrent le plus de moyens à l’éducation de ses jeunes, ceux-ci n’apparaissent qu’en 27ième position dans le classement international PISA des performances éducatives. Ce hiatus a été très justement interprété par madame V. Pécresse qui prévoit, dans les établissements d’enseignement secondaire d’Ile de France, de détecter les intoxications cannabiques. 11-Le THC, qui apaise l’anxiété de certains consommateurs, les incite à en user, puis bientôt à en abuser ; mais ses effets s’épuisent et l’anxiété réapparaît, bien plus vive qu’elle n’était primitivement. 12-De la même façon, le THC peut être perçu par un sujet dépressif comme antidépresseur, ce qui l’incite à en user puis bientôt à en abuser. L’effet qu’il en attend s’épuise et sa dépression réapparaît bien plus intense qu’elle n’était avant l’usage de la drogue. Cette situation comporte, en embuscade, des tentations et des tentatives de suicide, dont certaines, hélas, aboutissent. Le cannabis est un des facteurs qui rend compte de l’accroissement de la suicidalité de nos adolescents qui a été constaté au cours des dernières décennies. 13-Le THC, dans une étude déjà ancienne, s’avérait responsable, sur une seule année, de 300 morts sur les routes de France. Cette étude (Stupéfiants et Accidents Mortels de la route), montrait aussi que l’association de l’alcool au cannabis multipliait d’un facteur 14 le risque d’accident mortel de la route. Maintenant que cette détection est devenue systématique, la rubrique des faits divers relate de façon quasi hebdomadaire les drames de la route sous l’empire du cannabis. 14- l’ivresse et les effets désinhibiteurs du THC, recrutent des comportements dangereux, agressifs, des rixes, des relations sexuelles sans contraception, non consenties, non protégées des maladies sexuellement transmissibles (dont le SIDA). 15- Les dénégations de ceux qui réfutaient l’incitation à l’abus d’autres drogues suscité par l’usage du cannabis, « l’escalade », sont tellement démenties qu’ils ont dû trouver un autre terme pour ne pas se déjuger ; de là le terme polytoxicomanies pour désigner cette situation devenue si commune. Elle concerne désormais dans notre pays plus de 250.000 victimes d’une dépendance aux morphiniques (héroïne en tête) ; avec plus de 170.000 d’entre eux pris en charge, pour un coût très élevé, par les traitements de substitution à l’héroïne (Subutex© et méthadone), par ailleurs très largement détournés ; ce qui recrute de nouveaux sujets dépendants aux morphiniques. 16- Ajoutons deux études récentes, pour la réflexion du docteur Le Guen. L’une établit que l’administration de THC à des rats, de façon très antérieure à leur accouplement, modifie chez les ratons issus de leur croisement, leur système glutamatergique, impliqué dans l’appétence pour les drogues (Watson et coll. 2015). Paraphrasant la Bible, les parents ont consommé du cannabis (les « raisins verts ») et leurs enfants en ont eu leur système de récompense modifié (les « dents agacées »). L’autre étude montre que les fœtus de femmes enceintes qui consommaient du cannabis et qui ont avorté lors de la vingtième semaine, présentaient une diminution des récepteurs D2 de la dopamine, dans une structure de leur système de récompense (le noyau accumbens), pouvant expliquer à l’âge adulte leur appétence accrue pour les drogues. 17- De toutes les drogues le cannabis, par son THC, est la seule à se stocker très durablement dans l’organisme, sur des jours et même des semaines. Ce n’est pas une « drogue douce », c’est une drogue lente. Si, comme le tabac, le cannabis ne donne pas lieu à des overdoses mortelles, il est, en cas d’abus chronique, plus toxique que le tabac ; ce tabac dont la licéité a permis qu’il soit la première cause de mort évitable (78.000 morts annuellement en France, soit 213 chaque jour). Ceux qui militent pour la légalisation du cannabis permettraient que sa consommation s’envole vers celle de l’alcool (4 à 5 millions d’alcoolo-dépendants, 49.000 morts) et même vers celle du tabac (13 millions de fumeurs, ses 78.000 morts et ses multiples estropiés).

Si ceux qui prônent la légalisation du cannabis, en persistant dans leur folle entreprise, finissaient par convaincre des politiques irresponsables de légaliser cette drogue, ils ne pourraient plus prétendre que les conséquences étaient inattendues. Ils savent maintenant à quoi ils exposent les victimes de leur démagogie idéologique. Ils devraient assumer, devant les victimes, leurs familles, leurs collègues, leurs concitoyens, les tribunaux peut-être et devant l’histoire leur responsabilité.

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Jean Costentin

Author: Jean Costentin

Pharmacologue réputé et membre des Académies de Médecine et de Pharmacie, Jean Costentin préside le Centre national de Prévention, d’Etudes et de Recherche sur les Toxicomanies (CNPERT). Il a dans sa carrière dirigé l’unité de neuropsychopharmacologie du CNRS (1984-2008), ainsi que l’unité de neurobiologie clinique du CHU de Rouen (1999-2011), ville où il a également longtemps enseigné comme professeur à la faculté de médecine et de pharmacie. Spécialiste des addictions, Il est l'auteur de "Halte au cannabis !" (Odile Jacob, 2006) et "Les Médicaments du cerveau" (Odile Jacob, 1993).