Les chiffres du sondage Harris réalisé début septembre sur la fréquentation des lieux culturels depuis l’instauration du pass sanitaire sont vertigineux et sans appel !
Musées, expositions, concerts, théâtres sont littéralement désertés par le public. Mais les chiffres ne donnent peut-être pas une vue très juste de la situation. D’abord, ils datent de début septembre, époque à laquelle le nombre de vaccinés n’était pas celui qu’il est aujourd’hui, ce qui sous-entend qu’une partie des sondés n’allait pas dans les lieux de cultures pour des raisons pratiques, à savoir l’interdiction qui leur était faite de se rendre sans pass dans les lieux culturels. Encore que cette remarque doive-t-être nuancée par le nombre important de tests effectués sur la même période.
Plus inquiétant, en revanche, est la désertion de la rentrée et notamment depuis mi-octobre où plus de 85% de la population avait ses deux doses. Le public ne semble pas revenir dans les salles. Et cela demande plusieurs analyses. Le pass ne peut plus être incriminé à cette date. Trois éléments me semblent se cumuler. L’habitude prise de se passer du spectacle réel et la modification des comportements, le public ayant appris, apprécié, les propositions internet, de chez soi, surtout que plusieurs salles demandent encore le port du masque ce que beaucoup refusent, confondant gestes barrières et immunité, le vaccin prévenant les cas graves, mais pas les contagions. Il y a donc eu, en presque deux ans, de nouvelles habitudes prises par le public. L’alerte que je lançais à l’époque sur le tout internet dans lequel s’est jetée la presque totalité des artistes, n’était pas sans fondement. On a habitué le public à se passer des salles. Pas de déplacements, pas de risque sanitaire, des coûts en moins et des horaires sur mesure. Dans une société zapping et consommatrice, c’était se tirer une balle dans le pied et favorisant un travers déjà bien dangereux.
En outre, la désocialisation entrainée par presque deux ans de confinements et d’interdits, à inscrit dans les comportements, de façon visiblement durable, l’isolement et la satisfaction du cercle clos.
A cela ajoutons les nombreuses hausses du coût de la vie, en besoin élémentaires, depuis la rentrée, qui forcent les ménages, comme les célibataires à faire des choix. La culture étant toujours la variable d’ajustement venant bien après le nécessaire vital et loin derrière les nécessités artificielles du consumérisme ambiant. La part de la culture dans les budgets de cette rentrée s’est réduite bien plus que peau de chagrin, renforçant la désertion des salles d’autant plus facilement que chacun a pu profiter de nombreux palliatifs sur le net, des mois durant. Nécessité et nouvelles habitudes se sont donc combinées.
Mais ce serait se faire illusion que de croire que la Covid est seule responsable de cette débâcle. La crise n’a fait qu’accélérer un processus aux racines bien anciennes, par une dépression subite et de ce fait visible à l’œil nu. Le monde du spectacle, hormis celui des stars plus ou moins médiatiques, et particulièrement le spectacle « classique » est traversé depuis des décennies par deux fissures, devenues des gouffres. La première est le gouffre qui sépare les salles de spectacles, les lieux de culture et l’éducation nationale. La culture s’éduque, aller au spectacle est une habitude qui demande à être favorisée. Les écoles ont déserté les enseignements classiques, le théâtre, la poésie, la musique, les arts en général. Si un enfant ne grandit pas dans un milieu familial habitué aux sorties et aux pratiques culturelles, ce n’est plus l’école qui lui en donnera le goût et moins encore le réflexe.
Autre faille de San Andrea culturelle, le divorce entre, d’un côté les pratiques et l’esthétique des salles de programmation et d’une part importante des artistes et de l’autre, l’attente du public. L’art devient un entre soi de connaisseurs d’une certaine esthétique, voire d’une école idéologique, auxquelles l’immense majorité du public est hermétique. Divorce qui accentue la désertion des salles, alors que la créativité est en berne. Stéréotypes, écoles de pensée plus ou moins monothématiques, recrutement par affinité esthétique ou idéologique, la différence dérange la médiocrité désormais en mode défensif. Cette même médiocrité incapable de surpasser les classiques, ni même de les égaler, préfère les bannir et les conspuer, nourrissant ainsi la décrépitude ambiante au point d’être un épouvantail répulsif pour prés carrés désertés, entendons les salles de spectacles. Il faudrait ici faire un commentaire sur la responsabilité des collectivités publiques et leur choix de subventions et de programmation, tout à fait orienter sur cet entre soi décrépit.
Ne tirent leur épingle du jeu que les artistes inventifs, tant sur leur art que sur leur rapport au public, ceux qui sortent à la rencontre du spectateur par le talent, mais aussi par l’art qu’ils mettent à concerner le public, comme hier et toujours aujourd’hui, Molière, Racine, Beethoven, Coluche, Brel…
Il manque au monde de l’art l’humilité devant les anciens, la créativité face à l’apathie, la vérité contre l’idéologie. Il manque au public une éducation nationale connectée au monde de l’art, des artistes qui les élèvent et les fassent frémir au plus profond d’eux-mêmes. Il manque à la culture cette rencontre du public et de l’art qui aujourd’hui ne cessent de s’éloigner faute de se comprendre ou simplement de se (re)connaître.