Trousseau 2016, Maison Gouillaud, l’instabilité subtile
Les vins d’Arbois connus pour leur devise « plus on en boit plus on va droit », leur vin jaune, leurs cépages locaux uniques, sont pourtant moins connus des consommateurs de vin occasionnels et même réguliers. Rares pour certains, peu faciles à marier pour d’autres, ils gagnent à être mis en avant pour eux-mêmes, autant que pour l’originalité des accompagnements qu’ils suggèrent. Mais les amateurs d’esthétique apprécieront également leurs robes à nulle autre pareil, qu’il s’agisse du vin jaune ou du trousseau au rubis de lumière.
Lumineux, sans être translucide, transparent mais avec un quelque chose de sirupeux, ce Trousseau 2016 de la maison Gouillaud est séduisant simplement posé sur la table. Un service ainsi disposé, orne d’un diadème de rubis une nappe simplement blanche. La frange du vin nous révèle pourant qu’il est temps de le boire. Il a atteint sa maturité et devrait même décliner assez vite.
A l’ouverture, il offre au nez un équilibre parfait, sans l’ombre d’une aspérité. Sans se faire attendre, les fruits rouges et noirs s’exhalent avec une caractéristique qui demeurera tout au long du service, une nette présence du sirop de cassis, renforçant au nez l’impression onctueuse que le verre pourtant assez clair laissait déjà entrevoir. Encore discret mais bien là, on y devine déjà le clou de girofle et la noix de muscade qui vont, avec les heures, prendre une place importante en bouche.
Mais cet ensemble aussi prometteur que ravissant vous décevra si vous le servez juste après ouverture. Vous n’en aurez qu’une impression d’eau aromatisée. Alors attendez trois et même quatre heures que votre vin carafé s’oxygène et prenne vie. Là vous le découvrirez léger au palais et envoutant au nez. Envoutant oui ! Le côté sirupeux du cassis et les arômes de fruits à l’eau de vie, très dominants nous transportent dans un tout autre univers qui en bouche sera d’abord emporté par le clou de girofle et la muscade. Difficile accord, ce Trousseau épouse très bien du rumsteck. La faible astringence des tannins ne se heurte pas sur le gras de la viande, mais il faut cependant un légume qui permette au vin de s’accrocher pour demeurer, comme des flageolets, accompagnés de patate douce pour honorer et le fruit noir et surtout la muscade. Un gibier léger aux fruits rouge supporterait bien l’équilibre également.
Si le nez ne tient pas longtemps, pas même trois secondes, le palais en revanche conserve longuement muscade et girofle, ainsi qu’en un second temps les fruits noirs. Ce qui accompagne fort bien le plat pour peu qu’on lui accorde ces légumes plus structurés qui permettent de contrebalancer la légèreté de la texture du vin. Texture qui pourtant prend de l’ampleur avec le temps. C’est un vin qui gagne à être maché, seul ou avec son plat. La sensation comme le goût en sont tout autre.
Toutefois, l’équilibre de la structure est extrêmement instable. Si elle est parfaite à bonne température, les tanins ressortent extrêmement vite en sous température et l’acidité refait surface avec trop de chaleur, le tout dans une fourchette de guère plus d’un, deux degrés.
S’il vous en reste en fin de repas, ce que je vous souhaite, alors vous verrez qu’après six heures à respirer, le côté fruit à l’eau de vie a envahi tout le verre, tant au nez qu’en bouche. C’est même l’impression de boire un vin de fruits (noirs ou cerise) à l’eau de vie qui se marie à merveille avec un fromage blanc de brebis, frais. La petite acidité du brebis libère le fruit du vin en masquant presque les épices. A ce stade toutefois, il devient difficile de marier ce rubis aux plats cités plus haut.
En revanche, il vaut mieux ne pas aller au-delà en termes de temps. Le nez qui déjà au départ ne tient pas longtemps devient très difficile à faire revivre. Il faut de très nombreuses fois agiter le verre pour en faire ressortir les arômes olfactifs qui sont plus qu’éphémères et peu à peu l’impression alcoolique de l’eau de vie domine totalement le vin au point de le faire oublier.
Un vin original donc, aux saveurs aussi variées que marquées qui nous plonge dans des univers forts différents, mais qui ne supporte pas le moindre déséquilibre en termes de température et qui, une fois débouché, entre le temps de s’ouvrir et celui de passer, laisse une fenêtre de dégustation très courte pour savourer ce qu’il a d’excellent à proposer. Ce ne sont pas là défauts du vin, mais exigences pour le consommateur.
A conseiller pour un voyage dépaysant, mais dans les strictes conditions qui lui permettent de livrer le meilleur de lui-même. En deçà et au-delà vous pourriez être déçu par un nectar qui ne demande pourtant qu’à vous mettre le vin à la bouche.