Tempo – Une adresse gastronomique pour voyager
Un peu excentrée, quoique profitant d’une vue dégagée sur la Seine par beau temps, le restaurant trouve dans sa discrétion géographique, un assortiment à son nom. Tempo le bien nommé, est un programme qu’il faut accepter en poussant la porte de cette salle sobre et élégante aux larges espaces en rotonde, laissant une douce impression de jardin d’hiver confiné (s’il est encore possible de prêter un peu de positif à cette expression).
Si je devais résumer en une phrase ce qui se passe ici, je dirais qu’on ne vient pas au Tempo pour manger, mais pour voyager, expérimenter et se laisser faire.
Voilà, tout est dit et je peux poser ma plume, car l’expérience ne se partage pas avec des mots, plutôt avec des mets et des vins.
Trois choses, parmi d’autres, ont retenu mon attention, cependant.
Le niveau de l’accord mets et vins d’abord. C’est à soi seul un voyage. Les équilibres sont parfaits sur les typicités, les cuissons, les arômes, les structures, les longueurs. Et c’est d’autant plus étonnant que les menus changent tous les jours pour des préparations nettement pensées autour des contrastes et des arômes.
Les vins sont originaux, accessibles et suffisamment complexes pour susciter l’intérêt et se laisser faire. Notons aussi l’équilibre des cocktails apéritifs qui ne viennent pas alourdir le palais avant même le début du repas.
En second lieu, il faut noter l’improvisation permanente, la créativité quotidienne. Le menu n’est pas annoncé, il est inspiré et parfois créé sur mesure, selon vos allergies. Un esprit créatif aux fourneaux c’est certain, un foisonnement d’idées du moment qui, loin de partir dans tous les sens, émoustillent suffisamment pour vouloir aller plus loin dans le voyage, dans l’expérience. Et sur cette profusion, maitrisée (il n’y a rien de trop) où l’équilibre se fait sur le fil parfois, on se demande ce que serait un plat signature qui pousserait plus loin le voyage, les papilles dans leur retranchement.
Car c’est un peu comme un soufflé qui retombe trop vite. L’émotion suscitée est indéniable, elle transporte et enivre même par moment, mais elle joue, torture ultime, comme une caresse qui se retire. Loin d’être une critique, c’est un appel à plus de profondeur dans l‘étreinte. Car pour bien profiter de la cuisine de Justin Berment, il faut prendre le temps de s’y arrêter, de bien laisser chaque émotion emplir le palais et l’âme, c’est une forme de contemplation qui, malheureusement échapperait au distrait, au voyageur furtif. En réalité, il faut savoir déguster pour pouvoir tirer tout le suc de ce mélange d’effluves.
Et c’est le troisième point d’attention, la cuisine est renouvelée autour de produits originaux, peu connus pour certains. On peut gouter, découvrir des épices, des herbes, des aromates, des légumes, des fruits, on peut également les voir s’harmoniser, ou les redécouvrir travaillés autrement. Ces « accompagnements », prennent alors une place aussi centrale que la viande ou le poisson. Ils font parti du plat, ils sont le plat.
Mais l’expérience manquerait d’épaisseur, si elle en restait aux arômes. Le jeu sur les saveurs, les textures, elles-mêmes parfois déroutantes, mais maîtrisés, offrent des trompe l’œil en bouche, comme au regard. Rose de betteraves, choux-fleurs, comme champignon gourmand farci, bonbon d’épinards citron de Menton. Mais aussi ce va et vient discret entre l’occidental et l’oriental, le traditionnel et l’exotique.
Bref ! C’est une véritable expérience gustative qui met en jeu beaucoup d’aspects et sollicite grandement le palais. Les portions semblent de dégustation, mais, d’une part l’expérience est si forte que trop la gâcherait, et d’autre part la succession d’amuses et de plats équilibre la quantité très avantageusement pour le client qui vient déguster et non se baffrer. Au passage, le rapport qualité prix est très en faveur du client.
Encore une fois, tant d’effluves et d’émotions, même si certaines peuvent demeurer en bouche longtemps après la dernière bouchée ou gorgée, appelle une plus grande profondeur pour les unir en une bouchée qui, là, pourrait bien nous faire frôler l’envol.
Enfin, le service en salle est à l’image de la cuisine, raffiné et pertinent, attentif et professionnel, avec une mention particulière pour le maître d’hôtel qui sait nettement de quoi il parle et se fait guide cicerone dans la présentation simple et concernée du travail du chef.
L’ambiance découle de l’enseigne, calme et apaisée, pour une table qui tout en offrant un beau voyage, permet, dans un monde de fou, de marquer le pas « a Tempo » !