Que voici un vin particulier ! Particulier quant au terroir, particulier quant à l’histoire du Château Tour Saint-Honoré, racheté il y a une trentaine d’années par Serge Portal, particulier de par sa culture et sa vinification biologique depuis une dizaine d’année, mais plus encore particulier par la double vie de ses arômes.
Je vous en parle car on me l’a récemment offert, mais à moins de l’avoir dans votre cave (outre le fait qu’il est temps de le boire), il semble introuvable sur le marché. Son double jeu n’en est pas moins intéressant et se comprend à la lumière de son assemblage autant que de son terroir. Au nez, comme tout de suite en bouche, le schiste qui compose l’essentiel des parcelles du domaine, vient chatouiller les sens. La minéralité, quoique discrète tiendra la gorgée de l’attaque à la fin de bouche quelque soit les conditions de température, point de bascule sur lequel je reviendrai. Mais cette finesse minérale donne envie, même après que la gorgée a fini de dévaler l’œsophage, de mâchouiller le vin, ce qui est fort intéressant pour un vin de pressurage, léger par nature. Bien entendu la présence de raisin à peau épaisse n’est pas sans contribuer à cette impression, ni sans doute à cette double vie du vin qui pour autant ne commence vraiment qu’après un carafage de plusieurs heures. Si vous le buviez à l’ouverture vous seriez agressés au nez comme en bouche, sans trouvez les arômes les plus subtiles de ce vin jeune. Laissez-le s’ouvrir, agitez-le même pour l’oxyder et que s’échappe tout ce qui pourrait rester d’indésirable.
Spontanément, ces agrumes et plus encore ces fraises, donnent envie de servir cette cuvée fraîche. Mais trop frais, le peu de tanin ressort immédiatement, exacerbe les agrumes et masque les autres arômes. Si vous souhaitez garder la première vie de ce vin, celle des agrumes, de cette fraicheur tendue, un service à une dizaine de degré semble plus indiqué, mais il faut bien avouer qu’un retour en bouche vient submerger l’esquisse de rondeur et de chaleur alcoolique (le vint titre 13%) et imposer comme une barrière aux autres arômes. Outre l’impression surprenante de ce retour vague acidulée qui englobe les fruits plus délicats, il reste une impression d’inachevé que je ne conseille pas en apéritif. Une viande grillée ou un poisson blanc grillé permettrait d’assouplir ce retour et pourquoi pas des légumes gorgés de soleil à la plancha
Si vous souhaitez vous aventurer dans la double vie de ce vin, il va falloir sortir des chemins battus en montant un peu en température. A 12 degrés déjà les tanins s’esquivent et la violette apporte une douceur chaude et ronde. Plus vous allez laisser monter la température (chose inévitable dès la sortie du seau à glace surtout autour d’un barbecue), plus la fraise va ressortir et même une petit côté fruit sec. L’amande va même installer cette onctuosité, qui fort heureusement contrebalancera la monté d’acidité due au réchauffement, sans pour autant parvenir à tenir sur la durée le combat. Plus chaleureux, plus rond, plus enclin à s’ouvrir sur la fleur et la fraise, les agrumes demeurent cependant et c’est un vin que l’on aura plaisir à prendre avec des fraises et même, comme base de la soupe de fraises. Une viande rouge toujours grillée ou un poisson blanc plus charnu, mais sans sauce, tiendront la comparaison.
Mais d’une vie à l’autre, du tendu sur la fraicheur au fleuri en rondeur, la faille du déséquilibre est subtile. Il vous faudra faire un choix de service et de dégustation. Mais, pour ceux qui voudraient une troisième voie, plus équilibrée entre la rondeur et la tension, essayez de servir votre vin à température fourchette haute dans un verre glacé (soit sorti du frigo, soit à l’aide d’un glaçon que vous jetez ensuite ou mieux d’un raisin congelé). L’effet sera éphémère, surtout en plein été, mais la sensation tant tactile dans sa fraicheur qu’aromatique dans sa rondeur, en fera un vin à boire pour lui-même. Une tentative apéritive un peu complexe, mais qui n’est pas sans mettre le vin à la bouche.