Aux larges des bouches de Bonifacio ou dans les merveilleuses criques des iles Lavezzi, il suffit de se pencher pour découvrir, pour admirer ou tout simplement pour cueillir le corail cet ultime méfait de la Méduse, terrassée par Persée au large de l’Ethiopie. Lorsque le héros vainqueur et sauveur d’Andromède, plaça la tête de la gorgone face dans l’eau, pour que son regard toujours maléfique au-delà de la mort ne fasse plus de mal aux hommes, ce sont les algues qui furent pétrifiées par ces yeux légendaires. S’étendant par le monde, le gorgeia, ainsi que les Grecs nommèrent le corail issu d’une des trois gorgones, ne tarda pas à atteindre les rivages de l’île de beauté pour conquérir et charmer les habitantes.
Le temps passant, le corail devint pour la ville de Boniface II, marquis de Toscane, un symbole au même titre que ses célèbres bouches, ou son escalier monumental arrimé à la falaise. Tous les coins de rue de la cité proposent aujourd’hui son collier de corail, semblable peut-être à celui que le jeune lieutenant Bonaparte offrit en souvenir à sa douce et tendrement aimée Emma Poggioli. Anonyme officier de la désastreuse expédition de Sardaigne, le futur empereur, qui séjourna en février 1793, s’éprit pour la belle Emma d’une idylle réciproque mais interrompue précipitamment par le départ du régiment. Partant, Napoléon offrit à son aimée le célèbre collier de corail de Bonifacio en gage de son amour. Partout dans la ville on dit que la jeune femme tenta de retenir son amant en lui confectionnant une douceur faite de d’amandes et de cédrat. Peine perdue, le petit corse suivit son destin sans repasser jamais voir la belle.
De cette idylle passionnée et candide demeure aujourd’hui encore le corail de Bonifacio, cette délicieuse gourmandise qui ressemble au calisson d’Aix tout en gardant son caractère propre porté sans doute par le désir amoureux qui envoute encore celui qui croque à pleines dents ou du bout des lèvres ce délice né de l’amour.
François Bocca Serra, le célèbre glacier de Bonifacio a tiré du fond de l’histoire corse cette vieille recette préparée avec les produits de ce terroir de beauté, la noisette et l’amande, mais aussi l’écorce d’orange et de citron sans oublier le divin miel du pays. Lorsque vous pénétrez dans son petit magasin, au détour d’une petite ruelle, c’est tout l’arôme du maquis et des bords de mer ensoleillés qui vous accueille. La force du maquis pris dans ce miel aux amandes pillées et l’évasion des grands espaces de ces citrons gorgés de soleil vous livrent au moment de la dégustation une intense sensation de plaisir serein qui ne laisse aucun doute sur l’origine passionnelle de ce soubresaut amoureux renouvelé depuis deux siècles bouchées après bouchées.
Peut-être, alors que nous fêtons cette année le deux-centième anniversaire de Waterloo, goûtons-nous avec le corail de Bonifacio, l’un des fruits les plus discrètement exquis que l’empereur ait laissé à l’humanité !