Château de Varennes, Beaujolais nouveau millésime 2020 – Au troisième temps de l’arôme…
Bien des choses ont été dites sur le Beaujolais nouveau et ce qui bien souvent en reste n’est guère flatteur. Hérité d’une méthode aujourd’hui désavouée par la quasi-totalité des vignerons, cette réputation légère qui vous reste sur l’estomac après un tour au comptoir fin novembre, n’a plus lieu d’être depuis quelques années.
Pour vous en convaincre, je vous invite à une dégustation en plusieurs temps qui nous emporte dans des univers bien différents d’un temps à l’autre, comme on passe de la valse des Strauss à celle de Ravel pour tourbillonner dans la musette française ou le temps enivrant de celle de Brel. Tout cela définitivement en rupture avec le temps lointain que nous évoquions plus haut.
On pourrait trouver entre le millésime 2020 du Beaujolais nouveau du Château de Varennes et les autres Beaujolais du même millésime, bien des similitudes, à commencer par les prémices à mettre en œuvre pour en tirer le meilleur parti, mais, même pour un Beaujolais nouveau, le Gamay ne se livre pas de la même façon d’une parcelle à l’autre, sous les mains des différents maitres de chais.
Ouff, le préambule est passé, entrons dans le vif du sujet !
Vif c’est bien le premier temps de la valse qui, vous le verrez trouvera, mesure après mesure, plus de rondeur et presque de souplesse. Pour autant, plusieurs étapes préalables sont nécessaires pour passer de la répétition au concert.
Vous imaginiez, sans doute, pouvoir ouvrir votre Beaujolais nouveau (ou village) juste au moment de passer à table ! Non, non, non, non, lancerait Hercule Poirot de son inimitable ostinato. C’est là un lieu commun qui gâcherait votre vin autant que votre plaisir et ruinerait cet inestimable avantage du Beaujolais qui fait de lui un vin du meilleur rapport qualité prix.
On sait que sur ce terroir unique mais varié, le Gamay donne le meilleur de lui-même jusqu’à offrir les plus grands vins de Gamay du monde. Cépage unique ici (à côté des chardonnays pour les blancs), son raisin à peau fine le classe dans les vins plutôt légers, peu tanique et donc à ce titre à boire plus frais que d’autres rouges, sous peine de faire ressortir une acidité excessive qui, en réalité, est fort éloignée de dernier temps de la valse.
On pourra se demander, comme on le fait pour la restauration de vieux monuments, quelle strate de l’histoire, il faut remettre en valeur lors de la restauration. Quelle période dit le mieux le monument ? Il en va de même pour ce millésime. Quel temps de la valse du vin lui correspond le mieux ? Car il y a bien plusieurs vins dans un vin. Et une part de la réponse dépendra du goût du dégustateur ou du plat du cuisinier.
Ici, je voudrais prendre le vin pour lui-même. Non pas chercher le vin pour un plat, mais le plat pour un vin. Ou plus précisément les plats, pour les différents temps de ce vin. Un temps court évidemment. Un temps si court qu’il ne commence qu’avec l’ouverture de la bouteille pour ne s’achever que 3 à quatre jours plus tard. J’exclus son déclin en vinaigre de notre voyage.
Vous êtes prêts ? Débouchez !
Laissons les éventuelles maladies ou défaut du vin, prenons une bouteille parfaite pour notre voyage et armez-vous de patience !
Sauf si vous voulez vous bruler les narines et repousser la bouteille avec un dédain qu’elle ne mérite pas, ne cherchez pas d’abord à respirer au-dessus de la bouteille, ni du verre. Laissez s’échapper gaz et souffre, que l’on évite rarement sur ces vins et qu’il faut traiter d’une manière particulière en cas d’absence total de souffre. Quelques secondes, une minute même ne seront pas de trop.
Pendant ce temps carafez votre vin. Eh oui, tout vin, même jeune, apprécie, au sortir de la bouteille, d’avoir pour lui une vaste surface pour respirer. Pour un vin aussi jeune, préférez même une carafe à base très large. Tournez un peu la carafe, afin que le vin respire, s’oxyde et dégage ses vapeurs gazées.
Alors seulement, portez-y votre nez et découvrez très vite une impression de fruits rouges et de banane. Pour le principe, vous pouvez le gouter, mais vous risquez de ne pas avoir du nez au palais la même clarté des arômes. Laissez-lui quelques heures et allez accueillir vos invités. Peu avant de servir, remettez votre vin en bouteille afin de le mettre au frais dans un sceau à 13 degrés environ, ou si vous possédez un récipient capable de garder la carafe au frais posez la dedans. Trop frais, vous feriez ressortir le tannin, qui même léger, deviendrait métallique et râpeux.
Entrez alors dans le premier temps de la valse, celui habituel du Beaujolais nouveau, vif, tendu même. On y découvre un dynamisme fruité, mais tenant déjà bien son assise. Au nez, les fruits rouges nous transportent en été, tandis que la banane laisse une légère impression consistante. Impression confirmée en bouche où le vin s’arrête un instant sur cet arôme typique du Beaujolais nouveau, mais pour s’esquiver très vite sur le fruit rouge, plus vif, sans pour autant être éphémère. C’est même lui qui demeure un instant, si vous ne mangez rien dans le même temps.
La fraîcheur est là, sans évanescence. On aurait presqu’envie de le prendre comme un dessert de printemps, avec peut-être une coupe de framboises, mais plutôt avec des fraises des bois dont les arômes singuliers vont se développer temps après temps. Un peu de charcuterie, non travaillée, pas de terrines aromatisées, de saucissons au fromage ou aux ceps qui tueraient littéralement la structure frêle et fraîche du vin. Une exigence toutefois, commencez par ce vin. Il ne supporterait pas de passer après d’autres plus charpentés ou plus acides, tels des blancs.
Si d’aventure vous n’aviez pas fini votre carafe, n’ayez pas peur de le laisser prendre un peu de corps en continuant de s’aérer jusqu’au soir et même jusqu’au lendemain midi.
Entrez alors dans le second temps de la valse et avec lui dans un autre univers, plus charpenté, sans perdre la tonicité du vin. Les fraises de bois donnent le meilleur d’elles-mêmes à ce moment-là, tandis que la banane toujours présente se met légèrement en retrait, au nez comme en bouche. L’impression charnue de la banane, en revanche se développe, portant la fraise des bois et un peu de framboise à une plus grande maturité, comme si elles avaient mûri entre temps. Dans ce second temps, le verre supporte aisément la comparaison avec le célèbre saucisson au gène, le marc de Beaujolais. Que ce soit en arôme ou en consistance en bouche, on passe de l’un à l’autre sans aspérité, pour peu que la chaire ne soit pas trop grâce ou déséquilibrée dans son assaisonnement. Il convient cependant d’éviter des légumes trop forts ou trop craquants et bien entendu toute sauce, fusse-t-elle au beaujolais, le moindre gras déséquilibrerait ce qui fait la particularité de ce second temps, le face à face réussi, de la banane et des fraises des bois.
Mais gardez un peu de ce breuvage de Bacchus pour le troisième temps, absolument méconnaissable. L’acidité n’est plus qu’une fine pointe sémillante, on peut imaginer monter de quelques degrés (1, 2 grand maximum). Le vin donne l’impression de vouloir devenir onctueux, sans que pour autant il n’y parvienne. Il est dans un nouvel équilibre fait d’un tropisme plus rond et d’une tension vive en filigrane. L’effet au nez est plus souple et l’impression en bouche prête à siroter. S’il est habituel de prendre ces vins avec des fromages à croute fleurie, vous serez surpris de le voir discuter avec un chèvre frais qui a lui aussi attendu deux ou trois jours à température. Mais la plus grande surprise vient peut-être de ce mariage presque « contre nature » avec un chocolat noir léger aux éclats d’orange. C’est dire si en trois jours, notre Beaujolais nouveau a pris de l’assurance !
Voilà en tout cas de quoi, j’espère, vous mettre le vin à la bouche pour trois jours !