
Le 28 janvier a débuté le 43e festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Créé en 1974, ce rendez-vous annuel, largement médiatisé et aux allures de fête, est le principal festival de la BD francophone et l’un des plus célèbres en Europe.
A Angoulême, pendant trois jours, 200 000 visiteurs sont attendus. De sept à soixante-dix-sept ans, seuls ou en famille, venus de près ou de loin, curieux, amateurs ou passionnés, ils seront nombreux, cette année encore, à passer le week-end dans la cité charentaise.
En se promenant dans la vieille ville, on croirait que le bon Dieu a été inspiré (en lisant une BD, Spirou, sans doute) de placer ici un tel rendez-vous ! Car Angoulême, petite ville de province, aux rues étroites et tortueuses, est pour ainsi dire à l’image de la bande dessinée, franchouillarde, artisanale, rétro, toute en rondeurs et en sérénité, aussi confortable et tranquille qu’un vieux canapé où l’on se plaît à feuilleter les pages jaunies d’un album de Tintin.
Il y a dans la bande dessinée un paradoxe difficile à appréhender ! Elle qui devrait être mal-aimée des intellectuels grincheux – amateurs exclusifs de culture conceptuelle ou d’art contemporain – , semble au contraire très appréciée des bobos qui feront d’Angoulême le rendez-vous du moment à ne pas rater, auréolé de la visite attendue de nos ministres pèlerins. Le côté festif et strass-paillette sans doute. Cependant, loin des élites parisiennes et de la gauche caviar qui s’en pare comme d’une toge de papier, la BD reste pour les Français un art populaire, qui parle au cœur des gens. En témoigne l’impressionnant succès en librairie du Papyrus de César, dernier album d’Astérix, preuve supplémentaire – s’il en fallait – de la vitalité du marché des bandes dessinées. Mais aussi de l’amour immodéré des Français pour ces petites images, vivantes, colorées, qui leur ressemblent un peu.
Pour beaucoup, les bandes dessinées, c’est pourtant un univers à part, qui ressemble à s’y méprendre au voyage de Peter Pan et Wendy vers le Pays imaginaire, un endroit où les enfants ne grandissent jamais… Bref, un monde cotonneux et protégé, apprécié d’une jeunesse oisive… ou d’adultes qui ne brillent pas par leur maturité !
Ça n’est cependant pas vraiment un hasard si la langue a fait entrer le verbe « buller » dans notre vocabulaire. Ainsi, quand nous bullons, l’on ne fait rien de précis, rien d’autre que lire sous une couette bien chaude, un samedi pluvieux de janvier. C’est là pourtant l’une des vertus de la bande dessinée, celle de plonger le lecteur dans une irréalité calme et reposante, sereine, propice à l’évasion, et, oserais-je, à la recomposition.
Dans ce climat de paix, le format des bandes dessinée, linéaire, précis, modèle en effet, pour le lecteur, une humanité heureuse et bienfaisante. Le cadre des images restructure notre esprit embrumé. La ligne claire des dessins refigure l’inconscient, repousse l’inquiétude. Quant à l’histoire du héros, regard vif, lâche ou courageux, sombre, décontenancé, grandiose, loufoque, grotesque, parfois tourmenté, mais toujours accessible, attachant et porté vers le bien, elle nous enveloppe, nous porte et quelque part nous élève.
Ainsi, alors que nous avons mis entre parenthèse, pour une petite heure de repos, nos soucis quotidiens, c’est notre âme d’enfant qui bulle avec plaisir et se laisse façonner.
Cela explique sans doute pourquoi on ne se rassasie pas de la beauté subtile et colorée des planches, beauté rieuse et souvent malicieuse, souvent emplie de petits détails qui ne nous sauteront pourtant aux yeux qu’après plusieurs lectures et relectures assidues !
Cette année, au festival de la bande dessinée, c’est le dessinateur Hermann, vétéran de l’école franco-belge âgé de 77 ans, qui a été honoré pour son oeuvre par le Grand Prix de la Ville d’Angoulême. L’auteur de Jeremiah tire là une belle récompense, après une carrière prolifique. Une très belle exposition rend également hommage à Hugo Pratt et son célèbre héros, Corto Maltese. La présentation fait tout de suite entrer le visiteur dans l’univers poétique du gentilhomme de fortune, courant le monde à la recherche de lui-même, pour le plus grand plaisir des yeux et du cœur !
Mais, à côté de ces classiques, il y existe encore bien des bandes dessinées à lire et explorer !
Par exemple, ces perles récentes sur lesquelles je ne manquerai pas de terminer : citons « l’Epervier », de Patrice Pellerin, saga historique mettant en scène les aventures d’un corsaire breton, au XVIIIe siècle, ou encore « De cape et de crocs », d’Alain Mayroles et Jean-Luc Masbou, truculente série tout en alexandrins, riche de nombreuses références historiques et littéraires, mêlant Goupil le Renard à Molière, Dumas… et Cyrano !