Ô ma tristesse
Ô ma tristesse ! Tu es mienne, tu es à moi. Tu n’es pas celle d’un autre, ni l’absolu de la tristesse dont parlent les philosophes ! Tu es la mienne, celle qui m’étreint, celle qui désormais ne fait plus qu’un avec mon âme atrophiée.
Tu es là et si je t’ai d’abord maudit, à présent je t’aime et te chéri de l’amour, qu’à lui, comme à elle, je portais. A travers toi, c’est eux que je cajole et contemple et si tu venais à t’en aller, ils mourraient pour toujours.
Ô ma tristesse, tu es ma fidélité auprès d’eux, tu es leur présence impossible, leur mémoire conservée, intouchable et précieuse. Je ne te lâcherais pas, même si à ton tour tu voulais me quitter. Je me repose en toi de la douleur de leur absence. Tu les fais revivre en mon cœur comme l’opium apaise les tourments.
Ô ma tristesse, tu es devenue mon unique, mon aimée. Sans toi, qui es eux, je ne n’imagine plus de vivre, comme sans eux, je ne saurai survivre ! Tu es le sourire de ma bien-aimée, même si ce sourire est poison. Tu es les bras de mon Frère, même si ces bras sont un garrot chaque jour plus serré.
Ô ma tristesse, mon ultime souffle de vie, sois ma bien-aimée emportée, sois mon frère enterré… Ô ma tristesse, donnes-moi ta main que j’y mette son saphir diamanté et deviens mon épouse, comme elle fut ma fiancée. Ô ma tristesse, donnes-moi ton sang que j’y trempe le mien, comme le serment de deux frères !
Ô mon aimée, mon épouse pour l’éternité, avec toi nous traverserons l’abîme qu’ils ont laissé en mon cœur et de notre union, peut-être, germeront des fruits de cette beauté amère qu’est le fiel du désespoir !
De ces fruits, Ô ma beauté tragique, je te ferais des couronnes et en te rendant le culte d’une déesse, c’est, comme toujours, moi que j´adulerais, élevant sur mes autels postiches, les attributs de la mort et du désespoir.
Ô ma tristesse, désormais nous ne faisons qu’un ! Désormais je suis à toi, je t’appartiens, comme un chien à son maître ! Esclave du reflet illusoire de la vie, je ne sais plus vivre sans toi, comme je ne peux plus vivre loin d’eux !
Ô ma tristesse, tu n’es pas mienne mais c’est moi qui suis tien. Tu as pris possession de mon âme, de mon cœur et même de mon corps meurtri qui se traîne, qui te traîne, tel un forçat son boulet. Je suis ton esclave et non ton époux ! Nous ne faisons plus qu’un, mais je suis seul … Tu m’as trompé des douces consolations de mes larmes.
Ô ma tristesse, à ton tour je vais te quitter, partir loin de la vie et des larmes au pays de l’oubli. Ô ma tristesse, en m’enchaînant à toi tu as innervé en mon cœur le poison ultime qui m’emporte loin de toi, mais près d’eux !
Cyril Brun
De Vézelay à Chambord, été 2014