Une société peut-elle être vertueuse ?

Une société peut-elle être vertueuse ?

On pourrait être tenté de répondre rapidement par oui et par non de façon binaire et de fait la réponse est bien, au bout du compte oui ou non. Mais de multiples autres questions se posent en amont de la réponse. Qu’est-ce que la société ? Qu’est-ce que la vertu ? Toute la société est-elle concernée par la vertu ? Tout le temps ?

Commençons par tenter d’appréhender les contours d’une société. De base c’est une association, volontaire ou non, naturelle ou artificielle, contractuelle ou spontanée. Une association de personnes unies en un ensemble de liens communs qui peuvent être les liens du sang, du sol, de passions communes (comme le sport) d’intérêts communs (comme l’entreprise). Ces liens qui sont autant de points communs avec les autres membres de la société définissent cette société et la différencient d’une autre société. C’est ainsi qu’on peut distinguer plusieurs formes de sociétés (familiale ou entrepreneuriale par exemple), divers niveaux de société, les unes pouvant s’imbriquer dans les autres (famille dans le pays) ou s’associer entre elles (deux nations). Mais le lien formel, volontaire (entrer dans une association sportive) ou non (être membre d’une même famille), ne suffit pas à définir une société. Ce regroupement n’est pas statique, il évolue, il se métamorphose, il a un but. Que ce soit faire du sport ou vivre en paix dans une nation, les sociétés ont une finalité qu’elles ont reçu (comme la famille qui ne choisit pas d’être famille) ou qu’elles se sont données comme une société constituée en entreprise commerciale.

Le but d’une société est fondamental à percevoir car c’est lui qui va justifier la cohésion même de la société et donc les entrées et sorties de cette société. Avec cette remarque nous percevons que la société est bien un ensemble de personnes qui agissent. Ces personnes peuvent parfois ne pas être libres d’entrer ou sortir de la société. Faire partie d’une famille est indélébile, mais on peut s’en éloigner, s’en démarquer et la refuser. Les dictatures ne laissent guère de liberté non plus, mais il est toujours possible de tenter de fuir ou, en étant opposant, de s’exclure de la société, même si on y est physiquement enchaîné.

La société peut donc être tenue par un cadre (naturel ou législatif), mais pour en être effectivement membre, il faudra une adhésion, même passive, voire complice. On peut donc dire que pour une société deux niveaux se superposent sans toujours correspondre parfaitement. Un niveau théorique visible par lequel à première vue toutes les personnes concernées (comme les habitants d’un pays) sont intégrées à la société. Et un niveau réel plus ou moins visible qui suppose l’adhésion volontaire, même par défaut, des membres concernés. La distance entre ces deux niveaux peut créer des disfonctionnements (ce que certains appellent parfois des incivilités à l’échelle d’un pays) ou des mal-être comme certaines formes de burn-out professionnels.

Cette distance est due soit au refus d’adhérer au but commun ou aux moyens proposés pour y parvenir, soit à une simple méconnaissance (voire absence totale de connaissance) de ce qui cimente la société. Aussi, identifier ce qui fonde une société (forme de liens, modalité d’entrée et sortie, finalité et moyen pour y parvenir…) est indispensable pour s’y intégrer. Une société sans repère est d’abord une société qui ne sait pas s’identifier et donc s’unir dans un but clair.

La question qui suit est celle de savoir qui donne à la société toutes ces caractéristiques de lien, d’entrée sortie, de but et de moyen. C’est l’immense question de la légitimité et de l’autorité. Or l’autorité n’est autorité que si elle est légitime et la légitimité pour être perçue comme telle doit être reconnue comme cohérente avec ce que la société se donne comme fondement. Même en dictature, le potentat a besoin de légitimité. Ainsi en URSS la légitimité du pouvoir absolu donné au Parti communiste réside dans la finalité de ce parti : imposer l’idéologie communiste. C’est un postulat de base, imposé par la force au nom d’une valeur à laquelle le peuple ne peut qu’adhérer, son bien.

Et nous en arrivons à la question cruciale. Un pouvoir ne sera accepté par un peuple que si ce dernier est convaincu que l’autorité agit pour son bien, en d’autres termes il est légitime s’il conduit au bien. Isocrate dans son traité d’éducation à usage du prince Nicoklès lui faisait remarquer qu’un bon roi n’avait pas besoin de garde. La véritable question de l’adhésion à une société est, en définitive, celle de l’adhésion au bien qu’elle propose d’atteindre, qu’elle promet, celui pour lequel la société est constituée que ce soit naturellement ou par construction humaine.

On ne peut donc envisager la question de la société sans celle de sa finalité, c’est-à-dire de sa conception du bien. Autant dire qu’une nouvelle étape s’impose à nous : qui définit le bien ? Ici de nombreuses entrées sont possibles : Dieu (chez les chrétiens ou les musulmans) ou les dieux (comme chez les Grecs ou les mésopotamiens), le pouvoir (comme dans le communisme), diverses idéologies… Quoiqu’il en soit de qui définit le bien, il faut que les membres de la société adhèrent non seulement au bien, mais par la force des choses à celui qui le définit, sinon ce bien n’a aucune légitimité.

De deux choses l’une, ou les membres de la société adhèrent au bien et se dotent d’institutions et de gouvernants (les moyens) pour vivre et atteindre ce bien ; ou ils n’y adhèrent pas et il faut trouver le moyen de l’y faire adhérer. On y parvient par la formation ou par la manipulation.
De tout cela il ressort que la société n’est pas agissante par elle-même. Ce sont toujours les membres d’une société qui agissent. La personne humaine demeure au cœur du système de décision et d’action que ce soit volontairement ou non, passivement ou non, consciemment ou non. C’est l’enjeu de la formation au bien ou de la manipulation.

Or, il se trouve que la vertu est une disposition à agir en vue du bien. Ce qu’est une société vertueuse dépendra donc de ce qu’elle considère comme bien, sachant qu’un acte vertueux conduit au bien et un acte vicieux (disposition contraire à la vertu qui oriente au mal) conduit au mal tel que le formule une société.
Ainsi, une société ne sera vertueuse qu’à hauteur de la vertu de ses membres, puisque la société comme telle n’agit pas, mais est la somme des actions individuelles.

Si nous résumons, un acteur reconnu comme légitime par les membres de la société définit le bien et en est garant, c’est-à-dire qu’il doit veiller à ce que le comportement de chacun soit vertueux. Pour cela il met en place des moyens qui peuvent être l’éducation, la manipulation ou la coercition.
En termes simplifiés, une société sera vertueuse, si ses membres adhèrent à ce qu’elle définit comme bien et cherchent à établir des comportements vertueux, à savoir ordonnés au bien visé.

Toute la question est donc de savoir si ce bien proposé par la société est effectivement un bien et si l’adhésion est libre ou manipulée.

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Cyril Brun

Cyril Brun

Cyril Brun est journaliste du vin, critique gastronomique, historien, philosophe et ancien chef d'orchestre Diplômé de maitrise du vin, il est dégustateur et formateur, journaliste et critique gastronomique pour plusieurs magasines ou sites. Titulaire d'une maîtrise en histoire médiévale et d'un doctorat en histoire de l'antiquité, il a été chargé de TD sur Rome et la Grèce archaïque à l'université de Rouen, puis chargé de cours sur la Grèce archaïque et classique, la Mésopotamie et l'Egypte à l’université de Quimper. Les travaux de sa thèse portent sur l'Afrique romaine au IIIème siècle après Jésus Christ, mais il s'est ensuite spécialisé sur la Grèce classique tant pour sa religion que pour ses philosophes. Il parcourt la France pour donner des conférences sur l'anthropologie classique, les peuples mésopotamiens mais aussi la musique, rédiger un guide oenotouristique. Chef d'orchestre depuis l'âge de 16 ans, il a dirigé divers ensemble en se spécialisant dans la musique symphonique (avec une prédilection pour Beethoven) et la musique Sacrée. Il a été directeur artistique et musical de diverses structures normandes : Les jeunes chambristes, la Grande chambre, Classique pour tous en Normandie, les 24 heures de piano de Rouen, le festival Beethoven de Rouen, Le Panorama Lyrique Ces compétences en philosophie, en histoire, en musique, mais aussi en littérature l'ont amené a écrire dans diverses revues musicales ou historiques, comme critique ou comme expert. Poussé par des amis à partager ses nombreuses passions, ils ont ensemble fondé Cyrano.net, site culturel dans lequel il est auteur des rubriques musicales et historiques. Il en est le directeur de la rédaction. Il dirige le site musical CyranoMusique dont il est le propriétaire ainsi que du média culturel Rouen sur Scène. Il est directeur d'émissions culturelles (le salon des Muses) et musicales (En Coulisses), sur la chaîne normande TNVC Il est l'auteur de Le Requiem de Mozart, serein ou Damné ? Les fondements de l'anthropologie chrétienne Une nuit square Verdrel La Vérité vous rendra libre