Sentiment d’injustice en entreprise : tension, démotivation et burn-out en vue !
Que ce soit en bilan de compétences ou en gestion de conflits, une chose revient très souvent dans les rancœurs des salariés : le sentiment d’injustice. Ce n’est pas rien ! Car ce sentiment qu’il soit fondé ou non, brise la confiance, la dynamique et agit comme un venin insidieux, un ressentiment caché qui peut gangrener lentement l’esprit d’équipe, la motivation, l’ambiance et bien entendu la qualité même du travail. Et selon les caractères des uns et des autres, il peut exploser en colère, se dénaturer en jalousie, s’amplifier en burn-out ou encore se distiller en tracasserie, mauvaise volonté et bien d’autres réactions possibles.
La difficulté pour un responsable est que ces manifestations du sentiment d’injustice
sont communes à de nombreux autres ressentis, comme le sentiment d’insécurité, la frustration et qu’il est donc difficile de l’appréhender tant qu’il n’a pas été exprimé clairement. Et la plupart du temps, le mal est déjà bien avancé, ayant dégradé l’ambiance ou la qualité du travail voire conduit au départ d’un élément moteur de l’équipe.
S’il est important de repérer la ou les parties émergées de l’iceberg, à savoir ces manifestations de crises, il est primordial d’en discerner la cause afin de traiter le bon problème. Ce n’est bien entendu possible que dans le dialogue direct ou l’attention aux petits détails, comme les remarques en l’air, les petites phrases qui ont échappées malgré la personne concernée. Si demander aux autres peut s’avérer utile, il faut cependant faire la part de ce qui a pu déjà fausser le jugement agacé des collaborateurs.
Le sentiment d’injustice à ceci de particulier qu’il est un ressenti avant d’être une réalité. Et c’est là que le dialogue est primordial. Mais pour cela il faut savoir de quoi l’on parle, car sentiment d’injustice ne veut pas dire injustice. Or il n’empêche que le salarié peut ressentir une injustice. Alors qu’est-ce que la justice ? Au sens strict la définition est « rendre ce qui est dû à qui cela est dû ». De là plusieurs questions. Qu’est-ce qui est dû ? A qui cela est-il dû ? En vertu de quoi cela est-il dû ?
Qu’est-ce qui est dû ?
Ce qui est dû est ce qui revient de droit à quelqu’un, disons à Michel. La question est donc : ce que Michel revendique lui revient-il de droit ?
On se rend compte ici qu’il y a donc un lien étroit et direct entre le dû et Michel. La question est à double sens. Michel est-il bien destinataire du droit ? En d’autre terme, peut-il revendiquer ce droit ?
Mais qu’est-ce qui fait ce droit, cette corrélation entre une personne et un chose ? Qu’est-ce qui permet à une Michel de revendiquer pour lui ce droit particulier, cette chose, bref son dû ?
En vertu de quoi une chose est due à quelqu’un de précis ?
Il y a deux niveaux de droit : le droit que nous appellerions ontologique, c’est-à-dire par le fait même de la nature humaine : avoir deux bras est un droit ontologique. Ne pas avoir ses deux bras est une injustice par nature. A l’inverse que notre ami Michel n’ait pas d’ailes d’est pas un dû donc pas une injustice. Le second droit est contractuel. Il s’agit d’accord passé entre deux parties. En fonction de cet accord, il est juste que les deux parties aient ce pourquoi elles ont signé l’accord. Qu’une des deux parties ne tienne pas son engagement est une injustice pour l’autre partie.
Dans le cadre d’une entreprise, les rapports sont d’ordre contractuels. Même s’ils sont à l’amiable pour certains aspects, il s’agit bien d ‘un contrat. Si le salarié (Michel) ne fait pas son travail il commet une injustice vis-à-vis de l’employeur. Si l’employeur ne paye pas Michel comme convenu dans le contrat, il commet une injustice.
Or le sentiment d’injustice vient se glisser à cet endroit. Le patron qui en demande plus ou l’employé qui en fait moins. Cela peut paraître très objectif, mais loin s’en faut. Si Notre bon vieux Michel en fait moins, de fait objectivement le patron n’a pas son dû. Si le patron lui en demande plus en promettant un plus salarial ou en avantage ou en récupération et qu’il ne tient pas son accord verbal, il commet une injustice. Jusque là c’est clair et objectif.
Mais si le patron demande plus sans rien promettre en échange et que l’employé fait plus. Il n’y a aucune injustice. C’est la volonté de Michel d’accepter (hors chantage de licenciement bien entendu). De la même manière, si Michel se donne sans compter bien au-delà de ce que lui demande son patron mais qui n‘a aucune augmentation de salaire ni davantage de reconnaissance, il n’y a pas d’injustice, car il a décidé d’en faire plus de façon unilatérale. Dans ces deux derniers cas, que travailler plus ait été consenti dans l’espoir secret de gagner plus est une chose, mais que l’espoir soit déçu n’est pas une injustice car le patron ne s’est engagé d’aucune façon. Travailler 40 heures au lieu des 35 convenues en espérant être payé 40 ou augmenté un jour est le choix de Michel. Une stratégie personnelle qui parfois peut payer, parfois non. Mais du point de vue de l’employeur il n’y a pas d’injustice.
Or les tensions, les burn-out, les démissions, les ressentis négatifs sont fréquent sur cette déception qui se nourrit, non pas de l’injustice, mais du sentiment d’injustice, parce qu’on s’estime bafoué alors que nous avons construit nous-même une illusion de justice.
Il est très important de détecter ce sentiment, qui pourrait s’écrire « senti- ment », afin de désamorcer la bombe et ramener les personnes concernées au réel au risque de les perdre. C’est important de le faire quand la crise est déjà là, mais il est important de le prévenir en redonnant bien les règles du jeu et de justice quand un manager voit un employer en faire beaucoup plus.
Même fait par passion et générosité, un don excessif finit toujours par ressentir de l’injustice, surtout si une crise (personnelle ou professionnelle) intervient. Ce que nous ne souhaitons pas à Michel !
Cyril Brun
Anthropos Consultant