L’urgence est-elle une priorité ?
Le nez dans le guidon, souvent dans l’urgence, ou pris par la panique, il nous arrive de prendre des décisions rapides, trop rapides, pour lesquelles nous n’avons pas pris le temps du discernement. L’unique priorité étant de réagir vite. Cette corrélation entre urgence et priorité est à l’origine de bien des problèmes ultérieurs qui sont souvent traités, à leur tour, par le même binôme, urgence/priorité. Si la sagesse populaire à proverbialisé de ne pas confondre vitesse et précipitation, la même sagesse nous conduit à distinguer urgence et priorité qui ne sont ni synonymes, ni interchangeables. Faire de l’urgence une priorité revient à faire de l’immédiat une priorité, en d’autres termes à vivre de courts termes en courts termes.
Une urgence, nous voyons assez spontanément de quoi il s’agit. C’est une situation qui demande une réaction sans délais. C’est un problème qui impose une solution rapide sous peine de non-retour, de drame. Tout risque imminent appelle une réaction urgente. Mais la réaction doit être adaptée au risque et proportionnée à celui-ci. Autrement dit, la réaction fait appel à l’intelligence. Il y a donc, par nature, une nécessaire distance entre le problème et sa solution. Une distance qui équivaut au temps de discernement en vue de mettre en place la bonne action. Ce temps peut être réduit en amont, par l’habitude ou plus exactement, l’habitus, c’est-à-dire l’habitude vertueuse par laquelle nous sommes entraînés à réagir vite en toute adéquation avec le problème. C’est le cas du sportif habitué à anticiper ses chûtes, du médecin rôdé à certains symptômes etc. Demeure tout de même que, même si dans l’urgence, ce temps est réduit par l’habitude ou le réflexe conditionné, il n’est réduit que par un travail d’anticipation liée à la raison. Les réflexes conditionnés de peur, quant à eux, ne sont pas conditionnés par l’habitude ou la raison, au contraire et sont donc aléatoires, incertains et comportent des risques non anticipés ni maîtrisés. A l’inverse d’un réflexe travaillé par la raison qui anticipe les risques consécutifs à son action. Ainsi donc l’urgence nécessité une réaction réflexe maîtrisée et constructive en vue de résoudre un problème imminent.
Mais tout problème se trouve au cœur d’un faisceaux de relations, de causes, de conséquences dont il n’est qu’un des maillons de la chaîne, fut-ce la mort, qui n’est, du reste, l’ultime maillon que pour le mourant et encore, un mourant peut se sentir très concerné par ce qu’il va laisser derrière lui et estimer que l’urgence de le sauver n’est pas une priorité.
Car la priorité est un choix, quand l’urgence est un fait. L’urgence n’est pas une finalité, mais une exigence de survie, de préservation. Nous pouvons choisir de ne pas traiter l’urgence parce que le problème est conditionné à un ensemble d’autres considérations. Avec le recul, nous établissons des priorités. Ces priorités, du reste, peuvent être anticipées pour faire face aux urgences. C’est-à-dire que nous pouvons avoir comme réflexe nos priorités. C’est le cas des valeurs morales ou culturelles par exemple. Ainsi, dans une situation d’urgence, la réaction intègrera la hiérarchie des priorités pour décider ou non et comment agir.
Mais une priorité, si c’est un choix, n’est pas un but en soi. Etablir une hiérarchie de priorité suppose un ordre, une logique, un pourquoi. Pourquoi mes priorités sont elles ici et ainsi imbriquées à la façon des poupées russes ? En réalité, ce qui met de l’ordre dans nos priorités, c’est notre but ultime, ce que nous voulons faire, en définitive, de notre vie ou avec notre vie. L’urgence est de sauver sa peau. Le moyen d’y parvenir dans l’urgence est de trahir ses amis. Mais je refuse de vivre dans la honte. Ma priorité qui est une vie sans honte me pousse à laisser l’urgence.
Ainsi, pour ne pas être « dans l’urgence », il convient de déterminer ses priorités, sans quoi, notre vie court le risque permanent de l’aléatoire, du court-termisme, du repli, du sur place et de l’indéterminisme.
Dans la situation sanitaire actuelle, l’urgentisme semble la seule boussole aux commandes. La priorité c’est l’urgence, peut-être précisément, parce que nous n’avons plus en ligne de mire un but pour hiérarchiser nos priorités. Nous voyons bien que tout patine, que nous ne prévoyons plus vraiment l’après, comme nous y pensions lors du premier confinement. L’après est un déluge plus ou moins apocalyptique que l’on ne sait plus anticiper, mais que l’on tente de faire oublier en faisant de l’urgence une priorité. Du moins, il me semble…