Ce montage photo a attiré mon attention, non pas d’abord pour son objet propre qui consistait à mettre en miroir les propos du président Macron et sa propre situation électorale, mais pour la polémique que l’un comme l’autre portent en eux-mêmes.
Qu’il s’agisse de la déclaration d’Emmanuel Macron ou de son score électoral, l’un comme l’autre posent la question de la légitimité et de la représentativité d’une part, mais, en miroir, de la place des scores minoritaires, d’autre part.
La première remarque qui s’impose, au-delà de l’étonnant mépris d’un chef de l’Etat pour une partie de sa population, est précisément la question des minorités. Le terme, de nos jours, est plus souvent employé pour les minorités éthiques ou religieuses. En politique, si nous parlons de majorité, nous estimons que l’autre camp, celui des vaincus est l’opposition. Du moins en Occident actuel. Et cette terminologie met en lumière le constat de Thucydide (de mémoire) pour qui la démocratie était une crise permanente. Crise au sens grec du terme, à savoir comme rupture de l’équilibre et de l’harmonie, quête absolue du monde hellénistique d’alors. Entendons par là que la démocratie porte, en elle-même, l’idée de crise, d’instabilité, de combat (en l’occurrence d’idées), dans lequel il y aurait un perdant et un gagnant. Seule l’unanimité permettrait de dépasser cette crise. Ce que certains appellent parfois, l’union nationale et qui, reconnaissons-le, ne se produit que rarement, voire jamais.
Car derrière, cela pose une nouvelle question. L’unanimité, comme la majorité et la minorité, sont des notions arythmiques aux contours clairs. Mais en politique, ces contours changent au gré des lois qui les définissent. L’élection d’Emmanuel Macron et les chiffres électoraux le soulignent parfaitement. Compte tenu de l’abstention, la majorité qui a élu le président se chiffre à 31%. Arithmétiquement parlant, la majorité n’a pas élu Emmanuel Macron. Politiquement parlant, la majorité se trouve dans l’opposition, parce qu’elle est composée d’une somme mathématique de minorités. On peut donc en déduire que les minorités sont majoritaires. Ce qui pourrait confiner à l’absurde, mais n’est rien d’autre que le principe même de la liberté de pensée et d’expression. Contextualisée en 2017/21, cela traduit surtout le désarroi collectif.
Du point de vue la stratégie politique, nous constatons que le système démocratique peut conduire à une pratique qui n’est pas sans poser problème, puisqu’il ne s’agit plus ici d’être majoritaire numériquement dans la mesure où être le moins minoritaire suffit à imposer légalement à l’intégralité de la population ses vues et donc être le « gagnant ». Clairement, la division permet de réussir là où le défaut de capacité à convaincre ne permet pas l’union. Traduisons ce que cela signifie sur l’échiquier politique : les alliances qui supposent le compromis et permettent ainsi d’augmenter l’assise des vainqueurs ne sont plus nécessaires. Les notions de Bien Commun et d’intérêt général (ce n’est pas lieu de disserter sur leurs nuances) deviennent alors très relatives et le parti au pouvoir devient chef de clan. La notion de chef de l’Etat vole en éclat et le principe gaullien de président de tous les Français est un mythe à peine revendiqué.
En revanche, le principe marxiste du rapport de force fait des vainqueurs des maitres et des perdant des vaincus priés de se soumettre aux urnes, jusqu’à ce que le vent tourne. La démocratie devient alors, bel et bien, une crise permanente, un combat avec perdants et gagnants.
Mais la question qui m’a heurté, plus encore que le mépris d’un président pour plus d’1/3 (officiel) d’opposants, est celle de l’exclusion d’une part de la population. Les propos sont forts. En démocratie 35% d’opposants ça ne vaut rien. Point final. Je pense qu’1/3 de la population qui ne paye pas ses impôts, ça ne vaudrait pas rien. Mais « En démocratie »…
Deux interrogations surgissent. Tout d’abord à partir de combien « ça vaut quelque chose » et qui le décide ? Le président sur un ressenti personnel qui évolue selon ses intérêts ? Ou la Constitution et sur quelle base ? Derrière, cela pose la question fondamentale que se sont posés tous les régimes politiques depuis la nuit des temps, celle de la légitimité. Qui et en vertu de quoi pose la légitimité des lois et des élus ? « Le peuple », répondrait spontanément la majorité des lecteurs. Mais se pose alors la double question : qui est le peuple et d’où tire-t-il sa légitimité ? A une époque le peuple démocratique (le demos athénien) c’étaient les hommes nés de père et mère athéniens. A une autre les hommes et femmes de plus de 21 ou 18 ans. Mais qui décide légitimement de cela ? La question est vaste et suppose un article à soi seul. Mais pour revenir à notre sujet, légitimement qui peut légitimer une minorité ou une majorité ? Qui (et pourquoi) peut décider que 1/3 de la population ça ne vaut rien ? Peut-on renvoyer d’un revers de main 1/3 de sa population ? Faut-il une loi qui définisse que rien ne peut se faire dans le pays contre 1/3 ou ¼ de la population ? Et pourquoi ¼ plus qu’1/3 ?
Pourtant ce n’est pas cette première interrogation qui m’a fait bondir. Ce mépris, d’une violence inouïe de la part d’un président, pose la question de l’intégration civique des « opposants ». Sont-ils des citoyens mis en marge ? N’ont-ils pas le droit d’être écoutés et considérés ? Et jusqu’à combien de pourcents va-t-on ainsi exclure de la considération nationale ? Ce qui me laisse pantois dans ce discours, c’est que la démocratie n’a plus de fondements sûrs sur lesquels reposés. Elle devient relative, un concept flou à géométrie variable, le décor d’un théâtre d’ombres dont la réalité se joue ailleurs.
Il n’est pas question dans cet article de pass ou de vaccin, ni même du mépris personnel dont Emmanuel Macron ne s’est jamais caché, mais bel et bien des garde-fous de la démocratie, de ses fondements, de son ancrage solide, alors que les sables mouvants de l’incertitude actuelle l’ensevelissent peu à peu, au point qu’elle s’évanouit dans l’inconscient collectif, au rythme d’un vieux souvenir qui naturellement, au bout du temps, ne nous habite plus.