Les foules ont-elles une psychologie?

Les foules ont-elles une psychologie?

24 mars 2013. Manif pour Tous. Avenue Carnot, en marge de la Grande armée. La foule est compacte. Sans crier gare, les CRS envoient leurs premiers gaz sur des manifestants pacifiques. Stupeur et mouvement de foule. Les mamies trébuchent par terre. Des enfants hurlent sans comprendre pourquoi leurs yeux gonflent douloureusement. Les mamans-poussettes essaient comme elles peuvent de protéger leurs bambins des effluves de lacrymogènes. Deuxième rafale de gaz, comme ça, pour rire. Dispersion des manifestants ? Rien du tout. La foule se masse devant les barrières de CRS. La tension générale crève le plafond. « Que faire ? Réagir ? S’enfuir ? » Troisième rafale, cette fois j’ai du gaz plein les yeux. « Ca suffit, on réagit ! Ne plus penser à rien, ne plus raisonner. Réagir. Seulement réagir. Les autres suivent. Réagir, sauter dans le tas… ! »

En pareille situation, de quoi est-on capable ? Quel est ce choc électrique qui nous traverse le cerveau, court-circuite notre individualisme, et fait réagir spontanément mille personnes comme un seul homme ? Quelles sont les mécanismes de fonctionnement des foules qui font agir les hommes assemblés parfois pour le meilleur, et souvent hélas, pour le pire (cf. cliquez pour visionner les vidéos)? Quels sont les dangers d’une telle entreprise ? C’est ce phénomène que Gustave Lebon, fameux sociologue du XIXe siècle, a entrepris d’analyser dans son œuvre La psychologie des foules (1895).

 

Le plus grands des démagogues est celui qui a réussi à mettre fin à l’anarchie : Napoléon, qui sans  ramener la foule à la raison, a réconcilié les forces collectives de l’intérieur contre un seul ennemi extérieur.

La postulat du docteur Lebon est que jamais un être humain n’est totalement individu. La raison ne guide qu’une faible part de nos action. La plupart de nos agissements sont conduits par une force instinctive liée à l’appartenance à la race. Il s’agit d’un habitus hérité en vertu duquel chacun agit d’une certaine manière*(1). Le sociologue parle de « constitution mentale de la race*(2) ».

Qu’est-ce que la foule ? Il s’agit d’un grand nombre de personne en un même lieux, au même moment. On ne parle pas nécessairement d’un meeting du Mélenchon, il peut s’agir d’une assemblée , d’une troupe militaire etc…Au sein d’une foule, l’individu meurt. La liberté de choix déjà faible en période normale, s’évapore pour que renaisse une âme indépendante : celle du groupe, constituée par l’ensemble de ses membres « C’est un être provisoire composé d’éléments hétérogènes pour un instant soudés ».

« Les hommes en foules ne sauraient se passer de maitre » suggère Lebon. Un meneur particulier a le talent de capter l’énergie d’une foule dans une émotion fusionnelle. Son arme ? La démagogie. La foule a besoin de croire comme elle a horreur de douter. Le beau parleur séduit la masse par une gestuelle symbolique et par l’emploi de formules simplistes et contagieuses. Il rabâche ses mots-mythes, flattant l’instinct martial d’un peuple « honneur », « bravoure »,  ou  flagornant ses bon sentiments  « égalité », « tolérance ». Tout dépend de la société à laquelle il s’adresse.

Dans la foule c’est la bêtise et non l’esprit qui s’accumule, tant il est vrai que « peu aptes au raisonnement, les foules sont au contraire très aptes à l’action ».  Les foules peuvent se montrer capable d’une immense générosité, mais aussi de viol, de lynchage, d’incendie etc… Il est fascinant de constater que même les éléments les plus distingués des foules (les notables parmi les plus cultivés) peuvent se comporter avec une extrême barbarie, de peur de se retrouver isolés.

 

Gustave Lebon a su prédire tout l’avilissement que provoque ce viol psychique des foules pour l’individu, qui laisse ainsi l’Etat pénétrer sa sphère privée, et le manipuler à sa guise.

La théorie de Gustave Lebon porte un coup dur à la mystique républicaine de la liberté. Il prend l’exemple de la Révolution française, qui selon lui n’a rien à voir avec le triomphe des Lumières et de la raison. La clé de cette Révolution réside en effet dans la  psychologie des foules. Les habiles orateurs des assemblées ont réussi par l’emploi de formules subjuguantes à libérer les passions de la masse pour les diriger contre les ennemis de l’intérieur. Qui en effet aurait la force de caractère pour s’opposer à la masse hurlante qui combat « pour l’avènement de la Liberté » ?*(3) Le plus grands des démagogues est celui qui a réussi à mettre fin à l’anarchie : Napoléon, qui sans  ramener la foule à la raison, a réconcilié les forces collectives de l’intérieur contre un seul ennemi extérieur. L’Empereur a transformé les foules françaises en une foule française contre le reste de l’Europe, pour un massacre plus grand.

La réception de La psychologie des foules est assez remarquable chez certains orateurs qui s’inspireront des méthodes de captation d’énergie des masses afin d’organiser les grands one man show du XXe siècle : Qu’il s’agisse des coups de menton virils de Mussolini, des grandes ovations humanistes de Staline ou de la nazi-pride de Nuremberg* par Hitler chez qui le bouquin a fait fureur. Gustave Lebon a su prédire tout l’avilissement que provoque ce viol psychique des foules pour l’individu, qui laisse ainsi l’Etat pénétrer sa sphère privée, et le manipuler à sa guise.

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NDLR: l’expérience récente d’un soi-disant « artiste » révèle une psychologie des foules particulièrement atterrante. Il se fait jeter des oeufs en place publique…

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(1)*La notion de race chez Lebon n’a pas la connotation biologique, c’est plutôt l’idée d’un phénomène culturel et transmissible. Il s’agit du partage d’une histoire, d’une langue. C’est le ressort scientiste du XIXe siècle qui opère chez Lebon, convaincu que l’humanité s’organise à partir de caractères scientifiques observables.

(2)*Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort. Verra-t-on jamais un peuple méditerranéen nettoyer spontanément les gravins d’un stade de foot après la défaite de leur équipe au mondial du Brésil comme l’ont fait les Japonais ? http://www.tuxboard.com/les-supporters-japonais-nettoient-le-stade-apres-leur-passage/

(3)*Peu importe que ladite « Liberté » consiste à exterminer les membres du peuple « ennemi du Peuple », la foule ne traite pas ses ennemis au détail.

(4)* «Les parades nazis, ces meetings du PS avec des idées en plus » Gaspard Proust.

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La Rédaction