L’enfer c’est l’autre
Qu’attendre d’une société ou le même, ce rétrograde suspect, est astreint par les médias à considérer l’autre comme l’idéal personnifié de la vertu et de progrès ? Comment garder ses nerfs face au cuistre Aymeric Caron qui pousse chaque samedi soir la chansonnette de « l’ouverture à l’autre » quand l’inconscient collectif tend au repli sur soi face aux flux incontrôlé de l’immigration ? Peut-on prendre au sérieux ce genre de pleurnicherie sermonneuse sur la tolérance de l’autre, quand cette tolérance consiste par la même à accepter de faire d’un enfant un orphelin de père ou de mère ?
Plus généralement quel rapport entretient-on à l’altérité selon le modèle de société ?
Cet autre, qui est-il ? Il n’y a pas de catégorie déterminée. Il s’agit toujours une figure abstraite. Osons une définition simple : dans une société nominaliste*, l’autre c’est celui qui est distinct de l’ensemble. Différent par ses mœurs ou ses origines : l’homosexuel, l’immigré, le pérégrin etc… Par opposition au même, c’est-à-dire la personne dont on partage la culture et la règle de vie, l’autre est le sujet qui n’est pas a priori assimilé au groupe.
on invente cet idéal supérieur de la Tolérance pour donner l’illusion d’avoir atteint la société parfaite en laquelle, absout de toute contrainte, l’individu illimité peut tout faire et tout posséder.
La Modernité* a marié le sujet et la raison. La postmodernité* n’a conservé que le sujet qui, divorcé de la raison, s’est réfugié au plus près de l’affect, du sentiment, de l’expérience réduite à elle-même. L’ego est devenu la mesure de tout. Juge de son propre bien, chaque sujet a enclot et privatisé sa sphère pour vivre autonome selon la règle qu’il s’est choisi. Ce libéralisme moral se vit à l’abri de la sphère polluante d’autrui, tant il est vrai que « ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours celle des autres » (Diderot). Pour éviter la guerre de tous contre tous, le sujet tolère qu’à défaut de cohabiter, sa sphère coexiste avec la sphère de l’autre. Ainsi il laisse l’autre libre de sa subjectivité et en retour l’autre le laisse libre la sienne. La culture classique c’est « aime ton prochain comme toi-même ». La culture nominaliste c’est « aime toi comme ton prochain s’aime ». C’est pourquoi on invente cet idéal supérieur de la Tolérance pour donner l’illusion d’avoir atteint la société parfaite en laquelle, absout de toute contrainte, l’individu illimité peut tout faire et tout posséder. Ce « toutalitarisme » contemporain fait de l’autre le meilleur paravent de l’égoïsme.
Dans ce système l’autre est constamment célébré au détriment du même. « Big Other » doit s’enorgueillir de sa différence, et l’on doit se plaire à le tolérer. Les opulentes SOS Racisme, SOS Homophobie et autre SOS machin encouragent l’autre à se distinguer par lui-même pour ce qu’il veut, mais interdit à autrui de le distinguer de lui-même pour ce qu’il est. Paradoxe que relève Pierre Manent dans une société qui exalte les différences « nous sommes requis de voir l’autre comme le même ». Sainte mère Egalité nous protège. On ne comprend plus que celui qui fait partie d’une patrie ne fait pas partie d’une autre patrie, ni que celui qui appartient un sexe n’appartient pas à l’autre sexe. Notre époque a déformé l’idée chrétienne « d’égale dignité des âmes » devant le Très Haut, en un principe de « mêmeté des sujets » devant le Très Autre. L’idéologie anti-différentialiste qui en ressort considère l’action de discriminer comme une hérésie. Pourtant discriminer veut simplement dire distinguer : c’est la première activité de l’intelligence.
Notre époque a déformé l’idée chrétienne « d’égale dignité des âmes » devant le Très Haut, en un principe de « mêmeté des sujets » devant le Très Autre.
Ainsi aux dires de certaines minorités subventionnées il est interdit de réaliser que deux hommes ne sont pas un homme et une femme et qu’à ce titre ils doivent être traités différemment. Parce-que oui comprenez-vous, le bonheur c’est de « s’ouvrir à l’autre ». Aussi faut-il jeter cette morale exclusive du passé aux chiottes et tirer la chasse du Progrès. Sus aux réacs, palsambleu ! Quoi vous n’êtes pas heureux de la teinte exotique des voyageurs du RER-D ? Factieux rétrograde qui n’accueille pas l’autre ! Et en plus les chinois auraient selon vous les yeux bridés ? Immonde fasciste, déguerpissez!
Exemple merveilleux d’hypocrisie avec l’affaire Léonarda. Cette gamine expulsée de France en octobre 2013 était l’autre accomplie : étrangère, basanée, discriminée. La panoplie complète, on ne pouvait que l’aimer. Son expulsion a provoqué une grandiose parodie de charité quand des milliers de lycéens ont – bravant l’autorité – séché les cours pour manifester leur soutien à Leonarda. Question : Combien parmi ces insoumis trublions auraient consentis à lâcher leur smartphone en échange d’un sursis d’une nuit en France pour Léonarda ? Peu, je le crains. D’ailleurs sans smartphone ils ne pourraient plus poster leur selfis à la manif des jeunes rebelles contre les rafles d’immigrés. En vérité ce qu’ils aiment ce n’est pas Léonarda mais l’image d’eux en train d’aimer Léonarda. Par une projection narcissique, ils aiment l’amour qu’ils ont pour l’autre avant d’aimer d’amour l’autre.
Quel modèle peut-on suggérer contre cette image désincarnée du prochain ? Dans une culture classique, la société est un ensemble où chacun est autrui et personne n’est totalement autre. Car « un individu ne se développe pas tout seul. Il lui faut mille circonstances propices : une famille, un pays bien déterminés, une atmosphère intellectuelle et morale» nous apprend Barrès. Au sein d’une société réglée par des cellules traditionnelles où les individus cultivent ensemble une certaine idée du Beau, personne n’est étranger pour personne. Autrui est la personne que je côtoie réellement car il me ressemble. Sur le principe cette similarité (et non pas cette mêmeté factice) encourage chacun à se sentir solidaire de son prochain. En effet, comment laisser son semblable dans le désarroi ?
J’entends poindre les critiques de ces bonnes âmes rappelant que la charité évangélique ne connait pas de frontière. Soyons francs : la charité se pratique d’abord envers les siens ; sauf à verser dans l’angélisme. Celui qui se prétend au service des pauvres de l’humanité entière n’a pas de temps à consacrer au pauvre qui habite en face de chez lui. Combien de clochards un électeur de gauche enjambe-t-il sur le trottoir pour aller manifester contre l’expulsion des immigrés ? Quelle cohérence chez cette jeune femme* qui s’envole pour l’Inde à dessein humanitaire, en laissant sa propre mère décrépir toute seule en maison de retraite ? Rousseau recommande la méfiance envers « ces cosmopolites qui vont chercher loin de leur pays des devoirs qu‘ils dédaignent accomplir chez eux », le XVIIIe siècle avait lui aussi semble-t-il son lot d’idéalistes et de BHL. Force est d’admettre que derrière les bon sentiments l’autre est une figure trop abstraite pour être un réel objet de charité. L’entraide et la bonté, ce sont actes concrets envers des personnes concrètes, sa famille, ses concitoyens etc…chez les qui les malheureux ne manquent jamais.
Ainsi le rapport à l’altérité se cimente de différentes manières selon que :
-Dans une culture postmoderne l’individu est isolé, émancipé, il veut se recréer lui-même. Cet homme « sans gravité* » idolâtre l’autre dans sa différence mais sans se donner les moyens de vraiment le connaître. En témoigne d’ailleurs l’insistance des décideurs publics sur le « vivre ensemble ». Ce nouvel artefact de la gauche bienveillante supposé rafistoler un lien social plus que jamais dissout par les communautés et l’individualisme. N’est-ce pas là bien la preuve que l’on ne vit plus ensemble ?
-Dans une culture Classique, l’atmosphère morale cohérente dans laquelle J’évolue me rapproche d’autrui. Enracinés sur une même terre et partageant le même héritage, à chaque instant nos racines se peuvent joindre et faire d’autrui mon prochain.
Notes
- Nominalisme : Doctrine qui rejette les catégories universelles pour ne reconnaître d’existence qu’à l’être singulier. Par exemple « L’homme » n’existe pas en tant qu’universaux, il n’y a que des hommes singuliers.
- Modernité : Du XIVe au XIXe, La Modernité rejette la vision Classique du monde selon laquelle l’homme se conforme à l’ordre extérieur du cosmos. la modernité est le système de pensée qui voit éclore en Europe le sujet et la raison. L’homme se prend en main pour diriger le monde qui l’entoure.
- Postmodernité : ce néologisme barbare renvoi de façon un peu caricatural à l’état contemporain de la pensée, c’est-à-dire l’après Modernité, rejetée dans ce qu’elle avait de trop stricte et de trop rationaliste. Initiée par Nietzsche qui fait selon Habermas « éclater l’enveloppe rationnelle de la Modernité » (Le discours philosophiques de la modernité), elle ruine l’universalité des jugements et ne conserve de la Modernité que le sujet. La postmodernité encourt depuis jusqu’à nos jours, avec une accélération depuis le bouleversement de mai 68. Elle adopte le paradigme de la déconstruction, elle donne la primauté à l’individu sur le groupe, au sentiment sur la raison.
- Le père Humbrecht rapporte cet exemple dans L’Évangélisation impertinente. Aux éditions Parole et Silence.
- C’est le sujet contemporain dont parle Charles Melman dans son livre « L’homme sans gravité – jouir à tout prix » aux éditions Denoël