Le nivellement fossoyeur de l’égalité

Le nivellement fossoyeur de l’égalité

L’égalité suicidaire, aurait pu être un autre titre de cette tribune, tant il a été fait, en son nom, pour la réduire à néant. La confusion, l’idéologie, autant que la démission ont été les fossoyeurs ultimes de ce qui était et demeure, en soi, une grande idée, un droit même.

La confusion d’abord, en amalgamant, équité, facilité et égalité.

Egalité n’est pas équité et moins encore interchangeabilité. Contrairement à ce qu’Aristote voulait des citoyens athéniens, pions interchangeables sur un jeu de dame, chaque être humain est unique et donc par nature différent de son voisin. Ses besoins, ses capacités, ses talents, mais aussi ses limites, ses faiblesses, lui sont propres et constituent sa personnalité à lui et non celle d’un être standardisé et uniforme. A partir de ce constat, chacun a droit à ce qui lui est propre, ce qui lui convient, en vue de réaliser pleinement ce qu’il est. Tous les parents le savent, chaque enfant nécessite une attention différente des autres dans la fratrie. C’est l’équité. Que chacun ait ce qui lui est nécessaire pour s’épanouir et grandir. L’égalité, c’est de garantir à chacun l’accès à ce qui lui est nécessaire pour grandir. Ce n’est en aucun cas tailler le gâteau en parts égales. Qui a besoin de plus de sucre que son voisin doit en avoir plus, tandis que le diabétique à le droit d’en avoir moins. Car tout cela participe de la dignité humaine. L’égalité ne porte pas sur la taille des parts de gâteaux, mais sur la possibilité, pour tous, d’avoir celle qui nous est due. Nous naissons égaux, quelques soient race, sexe, condition sociale, en droit à la réalisation de notre commune dignité humaine. Mais pour être réelle, cette égalité suppose l’équité.

Evidemment, ouvrir à tous les voies de l’égalité et de l’équité est plus compliqué à gérer et à mettre en œuvre que de mettre en place une voie unique et uniforme d’égalité. Ici la facilité est venue entretenir la confusion. On a cherché à standardiser, uniformiser l’accès au nécessaire dû à chacun, en imaginant un être humain générique. Le système scolaire qui met tant d’élèves, pourtant brillants, en échec, est la plus grande injustice née de cette confusion enlisée dans la facilité. La facilité demande que nous rentrions dans des cases, au mépris de nos distinctions. C’est comme empiler des bouteilles dans une cave. Les bouteilles de forme bordelaise s’empilent mieux qu’un mélange des contenants de nos régions. Mais cette standardisation égalitariste laisse sur le côté de la route tous ceux (c’est-à-dire tout le monde) qui ne se retrouvent pas pleinement dans les cases. Certains s’en sortent mieux que d’autres, mais globalement, personne n’est le décalque du prototype standard. D’où échecs, exclusions, mal-être et autres sources de déséquilibres plus ou moins bien gérés qui entravent l’épanouissement.

Cet égalitarisme de facilité, engendrant une société standardisée, nécessite une certaine vision, conception de l’être humain, pour en dessiner le contour stéréotypé.

Ici l’idéologie fait son lit et, en un peu plus d’un demi-siècle, l’Homme théorique n’a cessé de changer de visage, s’éloignant toujours plus de la vérité anthropologique. A la question « qui est l’Homme ? », a succédé l’intérêt, « comment rentabiliser l’égalité ». Je pense à peine caricaturer. Emondé à gauche, raviné à droite, creuser au centre, lyophilisé en son cœur, concentré et asséché en son intelligence, tel est, à gros traits, l’humanité standardisée et de fait de plus en plus interchangeable… du moins sur le papier. Car qu’on le veuille ou non, l’Homme réel, certes asphyxié, survit au fond de chacun et crie sa désolation de mille manières.

Ainsi, par nécessité d’abord, par absence d’autres issues ensuite, le nivellement s’est imposé, comme une démission générale.

Par nécessité puisqu’il fallait un schéma uniforme. Pour intégrer tout le monde dans cette vision interchangeable de l’être humain (égalité oblige), il fallait que la base soit la plus large possible. Le plus faible est devenu le modèle standard, l’élitisme une maladie incurable. Au lieu de créer un système qui tirait vers le haut, le mécanisme même d’une égalité mal comprise a imposé le nivellement par le bas. Il ne s’agissait plus de donner à chacun ce qui lui était nécessaire pour s’épanouir, mais de faire entrer tout le monde dans le modèle nouvellement imaginé comme épanouissant pour tous, niant ainsi la singularité. De proche en proche, toutes les difficultés rencontrées par ce nivellement ont été aplanies : culture, formation de la pensée, orthographe et tant d’autres. L’impossible égalitarisme interchangeable a engendré une démission générale face aux obstacles qu’on préfère masquer que surmonter. Mais masquer n’est pas résoudre et nous voyons aujourd’hui combien la société craque de toute part, à force de reposer sur du sable. Malheureusement, au lieu de renforcer le socle, les fondements de l’Humanité, on ne fait qu’arraser, fragiliser toujours plus, créant des générations d’ersatz humains, fragiles et dépressifs, tant ce faux bonheur sur mesure ne correspond pas à la nécessité d’épanouissement individuel.

Mais parallèlement à cette fragilisation abyssale de l’être humain, nous assistons à l’échec de l’égalitarisme idéologique sur son terrain même, puisque face à la démission, face aux dégâts de la standardisation, se crée une nouvelle inégalité. Ceux qui ont les moyens financiers d’échapper aux fourches caudines du système démissionnaire, ou ceux qui, sans réel moyen, sont pourtant enracinés dans une tradition culturelle forte qui survie à l’absurde ambiant, sont en train de constituer une nouvelle élite, celle de ceux qui auront eu la chance de ne pas être totalement arrasés, nivelés par une idéologie démissionnaire qui a oublié de regarder la vérité de l’Homme, seul chemin possible pour que chacun trouve et rejoigne le bonheur réel et non un ersatz auto proclamé de bonheur.

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Cyril Brun

Cyril Brun

Cyril Brun est journaliste du vin, critique gastronomique, historien, philosophe et ancien chef d'orchestre Diplômé de maitrise du vin, il est dégustateur et formateur, journaliste et critique gastronomique pour plusieurs magasines ou sites. Titulaire d'une maîtrise en histoire médiévale et d'un doctorat en histoire de l'antiquité, il a été chargé de TD sur Rome et la Grèce archaïque à l'université de Rouen, puis chargé de cours sur la Grèce archaïque et classique, la Mésopotamie et l'Egypte à l’université de Quimper. Les travaux de sa thèse portent sur l'Afrique romaine au IIIème siècle après Jésus Christ, mais il s'est ensuite spécialisé sur la Grèce classique tant pour sa religion que pour ses philosophes. Il parcourt la France pour donner des conférences sur l'anthropologie classique, les peuples mésopotamiens mais aussi la musique, rédiger un guide oenotouristique. Chef d'orchestre depuis l'âge de 16 ans, il a dirigé divers ensemble en se spécialisant dans la musique symphonique (avec une prédilection pour Beethoven) et la musique Sacrée. Il a été directeur artistique et musical de diverses structures normandes : Les jeunes chambristes, la Grande chambre, Classique pour tous en Normandie, les 24 heures de piano de Rouen, le festival Beethoven de Rouen, Le Panorama Lyrique Ces compétences en philosophie, en histoire, en musique, mais aussi en littérature l'ont amené a écrire dans diverses revues musicales ou historiques, comme critique ou comme expert. Poussé par des amis à partager ses nombreuses passions, ils ont ensemble fondé Cyrano.net, site culturel dans lequel il est auteur des rubriques musicales et historiques. Il en est le directeur de la rédaction. Il dirige le site musical CyranoMusique dont il est le propriétaire ainsi que du média culturel Rouen sur Scène. Il est directeur d'émissions culturelles (le salon des Muses) et musicales (En Coulisses), sur la chaîne normande TNVC Il est l'auteur de Le Requiem de Mozart, serein ou Damné ? Les fondements de l'anthropologie chrétienne Une nuit square Verdrel La Vérité vous rendra libre