La métaphysique du philosophe et du poète
Deux voies pour deux buts, le savoir et la contemplation, mais pour une fin : percer le mystère de l’être. Le poète ira chercher cela au-delà même de l’être, au-delà des concepts, il lui trouvera toujours une âme aimable. Le philosophe usera de concepts et de raison. Il tentera des définitions, des mises en équation pour, avec des mots pleins de sens rationnel, essayer de dire quelque chose de l’être. Il le passera en revue, en fera une étude logique, arithmétique de plus en plus. Il se battra avec d’autres pour savoir si l’être est d’abord essence ou existence, si l’individuation réside dans la matière, la quantité ou la forme. Il se déchirera pour trancher sur la permanence ou le devenir de l’être. Il confrontera avec ses pairs ses dissections. Il restera incertain à bien des égards. Mais il aura avec vérité dit des choses sur l’être. Le poète, comme dit Claudel « est le rassembleur de la terre de Dieu. » C’est lui qui fait apparaître l’unité des choses. Libéré des concepts, c’est grâce à un langage dont il est le maître qu’il parvient à rassembler, à hiérarchiser le réel. Usant de métaphores, d’analogie, il passe d’un mot à l’autre et par eux il touche la profondeur même non pas de l’être, mais de cet être.
Par une intuition très forte que précède nécessairement l’amour, le poète ne crée pas, mais découvre la ressemblance avec Dieu. Le philosophe, à force de travail et de réflexions, par abstraction logique est amené à conclure que dans l’être, il y a quelque chose de l’Être, une participation dira-t-il, tandis que le poète constatera avec Claudel que « Dieu a ensemencé le monde de sa ressemblance ». « Dieu n’a pas fait le monde, Il l’a fait se faire. Il l’a provoqué. » Avouez que la dimension d’amour que comprend la ressemblance est plus perceptible chez Claudel que dans l’expression philosophique d’une participation.
Le poète dit plus que le philosophe parce qu’en quelques mots il dit tout. Il le dit mieux parce qu’il parle la langue même de Dieu, celui des êtres, celui de la Création. Le philosophe s’avance vers la ressemblance par des concepts secs et arides tandis que le poète la reçoit des êtres vivants qui l’enseignent. Le philosophe s’avance vers la ressemblance par son intelligence. Le poète avance vers la ressemblance par la ressemblance.
Deux voies différentes pour une même fin, conduire à la découverte de la ressemblance pour y entrer. Le philosophe y entre au terme, le poète d’emblée parce que déjà il contemple ce que tous savent. Toutefois, il serait naïf de séparer ces deux voies tant elles s’appellent l’une l’autre. Car pour contempler la ressemblance et s’extasier il faut d’abord la connaître. Le poète peut emmener le philosophe plus loin encore. Mais il l’emmènera d’autant plus loin qu’il aura fait chemin avec lui. La vérité et la contemplation faisant chemin ensemble, c’est l’amour et la connaissance qui vont de concert. N’est-ce pas là la ressemblance trouvée ?