Pour choisir en philosophe : moindre mal ou mieux possible ?
Verre à moitié plein, à moitié vide, telle pourrait sembler la distinction entre moindre mal et mieux possible et pourtant, la profondeur de l’un est sans égale au regard de l’espérance à venir.
Deux considérations sont à prendre en compte ici. Tout d’abord, une fin bonne ne peut jamais justifier un acte mauvais. En d’autres termes, je ne peux faire un mal, même pour obtenir un bien. Ce qui veut dire que pour parvenir à une fin bonne, je ne peux employer que des actes bons. Or nous avons souvent l’impression, dans le monde économique et politique, de devoir choisir le moindre mal et non le bien. C’est pourquoi nombre de gens de bonne volonté démissionnent de tout engagement, arguant que, de toutes façons, on ne peut rien faire sans se compromettre. La vision du moindre mal est une vision étriquée et sans avenir ni ambition. Elle cherche à régler un cas ponctuel et pris isolément. A l’inverse, la vision du mieux possible replace ces mêmes alternatives dans une perspective plus large et construite. La question n’est pas comment éviter le pire, mais quelle est la décision qui, compte tenue de l’ensemble des données du problème, me maintiendra tendue vers le but fixé ? C’est à cette lumière qu’il faut considérer l’engagement pour le bien. Colmater le navire pour colmater le navire, c’est une vision fermée sur elle-même. Le colmater pour reprendre la route, c’est une vision d’avenir.
Tout chef militaire sait qu’il faut parfois sacrifier dix hommes pour en sauver mille. Si, bien au chaud dans la dernière cabine du navire, tout le monde refuse d’aller sur le pont tenir la barre parce que la mer déchaînée risque de nous éclabousser, de nous blesser, combien de temps encore la cabine restera-t-elle un refuge ? En d’autres termes, n’attendons pas de trouver l’endroit idéal et pur pour nous mettre au service du navire et de notre prochain. C’est illusoire et suicidaire.
Tout l’enjeu est là. Nous partons d’une situation concrète dégradée et nous souhaitons construire un monde où l’homme puisse vivre libre et épanoui. Ce monde ne se fera pas en un jour. Tout ce que nous pourrons construire continuera de côtoyer des situations inacceptables, tout comme les parties réparées du navire continueront à côtoyer les brèches. Et il est possible que certains, en allant réparer le mât, tombent par-dessus bord. Mais faut-il pour autant renoncer à réparer le mât ? Entre celui qui, par peur de tomber du mât, saute de lui-même à la mer, et celui qui tombe en essayant de réparer, qui a réellement œuvré pour le bien ? Il me semble désormais capital que ceux pour qui la dignité de l’homme a un sens se livrent à cette révolution mentale qui seulement les émancipera de ce bien-pensant à la française dans lequel ils se sont laissés enfermer, désertant ainsi la barre du navire. Nous pouvons tous agir en vue du bien en cherchant le mieux possible. Il ne s’agit pas de limiter les dégâts avec le moindre mal, mais construire demain dès aujourd’hui par des actes concrets tendus vers l’espérance. Telle est la profondeur du mieux possible.