Tueur à gages – Dieu en abime, version Graham Greene

Tueur à gages – Dieu en abime, version Graham Greene

Chez Graham Greene, l’histoire n’est qu’un prétexte pour parler de choses qui le touchent le concernent, lui semblent importantes. Elle n’est finalement que la trame de fond du sujet qu’il expose, de sorte que le lecteur doit se plier au jeu et lire l’histoire prétexte entre les lignes du discours de fond. L’intérêt est ailleurs, l’enjeu tisse dans ses mailles les plus existentielles une intrigue qui trop vite catalogue ses romans comme policiers, là, où ils méritent d’être hissé au rang de conte philosophique. Crûment, le monde est jeté sur le papier, comme Zola dans Germinal, mais les questions, ses questions, sont ailleurs. L’Homme, dans sa nudité, prend vie à travers des personnages trempés, caricaturaux, parfois à l’extrême, entier dirait-on… un peu vite.
Un peu vite car, et c’est l’une des leçons de ce « Tueur à gages », qui, véritablement, est tout entier d’un côté ? Qui n’est pas traversé par le doute des certitudes affichées qui lui servent autant de carapace que de carte de visite. Raven, le défiguré, incapable d’aimer et d’être aimé, balafré, comme la signature de sa laideur intérieure, prédestiné au mal, instrument-né de la destruction, condamné à la naissance par son bec de lièvre, comme le bouc biblique par ses pattes fourchues, Raven lancé depuis des années sur la route glissante et délinquante, se heurte pourtant, un matin d’hiver, sur l’inattendu qui vient, fugace, effacer la balafre du destin, réchauffer son cœur, pour la première foi vivant à l’heure de la mort, comme resuscité par le regard d’Anne, seul personnage du roman à l’ambivalence assumée.
Anne, amoureuse du policier, rangé dans son camp comme l’ordre qu’il défend, droit dans ses bottes, pourtant traversé, lui aussi par l’éclair fugace de désir de mort. Anne, séduite, par l’aventurier sombre qui, arme au poing, s’apprêtait pourtant à la tuer.
Chumley, caricature du vice, de la lâcheté, in extremis traversé par le trop plein de crimes, n’est pas plus exempt que les autres personnages d’ambivalences sombres ou lumineuses.
En donnant à chacun des personnalités bien trempées, aux caractères nettement dessinés, Graham Green, de part et d’autre de la fuite en forme de quête de Raven, force les blocs de pierre burinés de certitudes, à exhiber leurs fissures, les nervures marbrées qui ne font pas moins partie de leur être réel et profond.
C’est Noël sur Nottwich en neige. L’enfant de la crèche insupporte Raven, rassure Anne. Discret, pris à parti, le nouveau-né est le miroir omniprésent de l’ambivalence. Bonté et douceur incarnée, les Hommes ne sont que le négatif des promesses de l’enfant, selon Raven ; l’assurance d’une issue heureuse et pacifiée pour la jeune femme. Oh ! il n’est guère question de foi, mais l’emmailloté sert à son tour de prétexte à l’échange, aux réflexions en miroir du meurtrier par destin. Toujours il rappelle qu’en chacun il y a l’invisible dormant, un mort qui peut ressusciter, que la fatalité n’est pas une force du destin, mais la négation de l’ambivalence somnolante.
Il n’est pas rare que Graham Greene place l’Homme devant les grandes questions que pose Dieu, qu’il soit objet de foi ou postulat de réflexion. Si Raven butte sur les vices des hommes qui défendent les vertus de l’enfant sur la paille, au fond de lui, alors que la nuit s’enfonce, la lumière se réveille, timide et fragile. Cette lumière c’est Anne qui souffle sur la braise assoupie de la bonté qui n’est pas totalement morte en lui, mais qui jusqu’à cet instant de chaleur humaine, ne vibrait que de colère et d’injustice. Ce n’est pas que Raven refusait l’enfant de la crèche, ni la possibilité du bien en lui, comme en d’autres. Il était terrassé par la noirceur qui étouffait la justice.
La justice ! C’est ainsi que s’achèvera sa quête. Commencée dans la haine et le désir de vengeance, elle est conclue par son bras justicier châtiant les méchants, mais … ce faisant, leur ôtant toute possibilité de s’amender.
Ce n’est pourtant qu’à l’occasion du prologue, une fois le balafré tué, que les autres personnages révèlent la part de lumière qu’ils protégeaient sous le masque de la violence ou de la colère. Prologue un peu long, qu’on aurait préféré émailler les derniers paragraphes de l’action.

Romain de La Tour

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La Rédaction