Malencontre est un roman policier… ou pas… Dès les premières lignes on ne sait trop ! Tout est brouillé, comme dans l’esprit de Gilles. Difficile de savoir, même après avoir refermé le livre, si le personnage principal est fou ou s’il est encore dans le coma, nous entraînant dans les arcanes de son subconscient. Difficile de distinguer s’il rêve ou s’il vit. Difficile de percevoir quand la réalité prend le pas sur le délire, quand le délire devient réel.
Gilles a-t-il tué sa fiancée qui l’a berné ? L’a-t-elle berné ? L’a-t-il bien retrouvé dans Paris ? Cette jeune femme qu’il décrit, ou rêve décrire, a-t-elle bien les traits qu’il lui prête ? Vivante et morte, présente et disparue tout à la fois quand se substitue une autre femme, celle-là même d’un rêve, belle, aventurière, acceptant l’inconnu tel qu’il est, tombant amoureuse au point de le sortir de sa fuite (ou de son rêve ?).
Qui du policier qui le poursuit ou du psychiatre qui l’autosuggestionne est réel ou ne l’est pas ?
Louis C Thomas joue là une partition d’une extrême finesse. A la césure des hémistiches de la folie et du désarroi, son personnage est-il fou ? Ou bien est-il en passe de le devenir parce que la réalité dont il est certain, ne ressemble pas aux preuves qui l’accablent ou à rebours le disculpent ? L’intrigue policière est réelle, mais sert-elle de prétexte pour se promener dans les prémices de folie, ou cherche-t-elle à démasquer le tout psychologisant ambiant qui finalement vous conduit à la folie, parce qu’il est persuadé que vous l’êtes, comme l’inspecteur vous conduit au bagne convaincu d’avance de votre culpabilité ?
Une grande finesse qui laisse sans réponse, mais ouvre à cent questions sur les déclencheurs de la folie, sur la réalité des analyses et finalement sur notre rapport au réel, au fictif, à l’imaginaire si criant de vérité qu’il nous embobine dans son délire….
Au final, n’y a-t-il pas eu pour chacun, une fois ou l’autre, un peu de Gilles en nous ? Mais lequel ? Le fou ou l’incompris ?
Romain de La Tour