Un livre à lire – Une métaphysique pour les simples
Lorsqu’il me confia, il y a de cela une quinzaine d’années, son dernier livre pour que je lui donne mon avis, Pierre-Marie Emonet n’était pas encore mon professeur de Métaphysique, mais plutôt ce mentor avec qui j’avais la joie de trainer tard le soir pour ferrailler ! Il avait achevé précédemment un petit opuscule L’âme humaine expliquée aux simples que, je l’avoue, je n’avais pas encore lu. En revanche son dernier né, Une métaphysique pour les simples, me transporta littéralement ! Enfin, un philosophe, un métaphysicien qui ne se contentait pas de disséquer, tel un chirurgien, l’être pour en dire trois mots somme toutes assez vagues ! Avec l’aide des poètes, ce grand connaisseur d’Aristote reprenait, pour nous, le chemin même du maître d’Athènes et nous faisait, ligne à après ligne, rien moins que contempler l’être lui-même.
Un livre de philosophie qui se faisait, pour nous, tour à tour poème, peinture ou mélodie. Appelant à la rescousse Van Gogh (« J’ai un nouvel espoir de faire moi-même quelque chose où il y ait de l’âme »), Rilke (« Arbre qui peut-être pense en dedans ») ou Claudel (« Quoi de plus mortel à exhaler pour un être périssable que l’éternelle essence et pour une seconde l’inépuisable odeur de la rose), le Père Emonet laissait, comme Aristote, le monde se révéler à lui. « Dieu n’a pas fait le monde. Il l’a fait se faire. Il l’a provoqué. » (Claudel) A nous de le saisir et de découvrir, comme ce chartreux, cité au fronton du livre, pour qui « le contemplatif n’est pas celui qui découvre des secrets ignorés de tous, mais celui qui s’extasie devant ce que tout le monde sait » ! Que pouvais-je donc dire à la lecture de ce petit chef d’œuvre sinon qu’il est un chemin par lequel l’âme s’enracine dans le monde et s’élève vers sa propre réalisation ? Du philosophe et du poète qui l’emporte en ces pages merveilleuses ? Aucun ! Ou plutôt les deux ! L’âme du poète est venue unifier et animer ce que le philosophe avait froidement analysé.
Lorsque, jeune blanc bec, je voulus prouver au maître que j’avais bien compris son livre, j’arrivais un soir avec des pages de notes et remarques. Avec son humour débonnaire, il me dit : « Mais c’est mon œuvre que vous critiquez ». Puis il ajouta…. « Oui… quand je dis pour les simples, il est vrai qu’il faut avoir un peu d’aisance ! » Oui sans doute, mais une aisance du cœur. Quiconque se laisse guider par cet ami de l’âme et de l’être, s’en trouve conquis et transporté vers des hauteurs insoupçonnées ! Et comme il arrive toujours des gens brillants, ils vous laissent contempler, du sommet de leur art, ce que vous, rude besogneux, n’auriez jamais atteint, vous donnant, non pas l’illusion, mais la joie, d’avoir compris ce que seuls les simples n’ont pas besoin de comprendre parce qu’ils le contemplent à loisir de leurs yeux d’enfants !
Un livre tout simple, pour âme sensible à la recherche de la profondeur de leur être !
Pierre-Marie Emonet, o.p., Une métaphysique pour les simples, éd. CLD, 1991.