
Un vaste ensemble de documents d’époque, d’auteurs et de genres littéraires différents, d’Hésiode à Callimaque en passant par Euripide, évoquent la déesse Artémis, et nous permettent de dégager ses caractéristiques et les fonctions qu’elle remplit dans le polythéisme grec. Comme chaque divinité, Artémis tient un rôle précis qu’aucun autre dieu ne peut remplir à sa place.
Artémis est restée dans la culture collective cette vierge farouche adonnée à la chasse dans l’espace sauvage mais aussi « la plus belle des vierges » pleine de charme et de séduction. La fille de Zeus et de Lêto est en effet fixée dans son statut de korê , de vierge éternelle. C’est, avec Hestia et Athéna, une des trois déesses qui obtient ce statut ; qui refuse la sexualité, le mariage et la maternité, ce qui ne saurait être le cas dans le monde humain (grand problème de l’homme grec du reste). Avec son frère Apollon elle forme un duo philadelphe uni et complémentaire : ce sont deux divinités à l’arc et aux flèches dangereuses.
Car Artémis est une chasseresse de fauves dans les montagnes et les forêts : c’est sa timè, sa charge et sa gloire dans la répartition des attributions divines. C’est l’Archère par excellence qui parcourt l’espace sauvage en tunique courte, avec arc, flèches et chiens, la tueuse de fauves (en ce sens elle protège la terre cultivée de leur irruption). Elle est entourée de compagnes, les Océanides, fillettes de 9 ans, sans ceinture, qui forme un chœur tandis que les Nymphes des montagnes la servent, prennent soin de ses sandales et de ses armes. Elle règne sur l’espace sauvage, dangereux mais complémentaire de la terre des blés, des vignes et des oliviers qui entoure la cité.
Mais c’est aussi « la plus belle de toutes les vierges », « à la chevelure d’or », une korê accomplie que Callimaque dépeint « chez son frère Apollon », laissant de côté son arc et ses flèches, parée de beaux, vêtements, entourée des Muses et des Charites, conduisant des chœurs de jeunes filles dans la musique, la danse et les chants. C’est le modèle de la chorège et l’évocation d’un autre aspect de l’éducation (idéale) des jeunes filles.
Car quand elle quitte l’espace sauvage, Artémis intervient dans les « cités de hommes » pour assister les femmes en couches, malgré l’ambiguïté de ses flèches qui peuvent tuer ces mères dont les douleurs sont attribuées à ses mêmes flèches. Parce qu’elle est maîtresse de la nature sauvage, elle peut extirper la sauvagerie qui se déchaîne dans le travail de l’accouchement. Née la première, elle a assisté sa mère pour la naissance sans douleurs de son jumeau Apollon : « maîtresse de l’accouchement sans douleurs », elle est remerciée pour l’heureuse naissance d’enfants en bonne santé.
Justicière, elle peut lancer ses flèches contre « les hommes mauvais » retournés à la sauvagerie : elle les chasse comme des bêtes fauves qu’ils sont devenus. Elle les punit par le tarissement de la fécondité, la mort des fils avant les pères, la mort des femmes en couches, ou l’accouchement d’une progéniture « qui ne tient pas droit et ferme ».
Aux bons, elle accorde protection et prospérité. Celle qui sème la mort est aussi celle qui donne la vie. Elle accorde les belles moissons, le bon croit du bétail, de beaux enfants qui vont pousser droit : elle est bien Artémis Orthia qui préside à l’éducation des jeunes, à leur passage de la sauvagerie au monde civilisé de la culture. A ce moment elle passe le relais à Hestia, déesse du foyer, Hera, déesse mère ou à Athéna, déesse de la cité. Chacun son rôle, chacun sa place dans l’équilibre du monde olympien garant de l’équilibre du monde humain depuis la victoire de Zeus sur Kronos.
Article paru en juin 2014 #confinement