Agatha Christie complotiste ?
Il existe bien plus d’Agatha Christie qu’on ne l’imagine. Miss Marple, Hercule Poirot, les époux Beresford, ou encore les huis-clos qu’on ne peut plus nommer aujourd’hui, sans parler des romans égyptiens inspirés par la carrière de son époux… si l’intrigue est toujours la trame, le style et l’écrivain changent. Bien plus engagés qu’on ne l’imagine, les écrits de la romancière britannique sont toujours un petit plaidoyer pour une certaine Angleterre, un certain mode de vie, une certaine culture.
C’est la disparition de cette culture, de ce modèle que la femme de lettres met en scène dans ce roman écrit en… 1970 avec « Passager pour Franckfort » ! Une fiction complotiste qui serait bien pointée du doigt aujourd’hui et qui pourtant se révèle prophétique pour partie. Inquiète des soulèvements de jeunesse qui ont ébranlé l’Europe, l’écrivain tente d’en comprendre les mécanismes et plus encore les ressorts. Une jeunesse désœuvrée et manipulable. Des financiers qui veulent modeler le monde à leur profit. Des idéalistes qui mettent tout en œuvre pour façonner leur monde idéal, et surtout la rencontre du monde de la finance et des idéalistes pour la mise en œuvre d’un projet planétaire de mutation, telle qu’en rêverait le New-age et, plus encore, tel qu’en rêvent les néo-nazis. Et ici le complotisme moderne s’arrête pour laisser place à la fiction. Marquée par l’épisode hitlérien, c’est tout naturellement que le méchant du livre (en l’occurrence la méchante) prend les traits hérités des folies nazies.
Pour autant, si l’on fait abstraction de la fiction qui sert de trame, l’analyse de la manipulation et les tentatives d’explication de l’effondrement d’un monde et d’un « way of life » révèlent, un autre centre d’intérêt de la romancière, la marotte d’Hercule Poirot : la psychologie. Ici, c’est la psychologie de masse qu’Agatha Christie tente de cerner et plus encore l’usage que des « comploteurs de l’ombre » en font pour parvenir à leur fin.
Comme souvent chez l’écrivain anglais, le roman finit sans finir, mais ici, l’intérêt de la fiction est secondaire. C’est bien une ébauche d’étude sociétale que nous livre la célèbre romancière et que nous serions bien inspirés d’avoir à l’esprit.