Lyautey, homme d’art et d’avenir
Nous célébrons cette année le quatre-vingtième anniversaire de la mort d’Hubert Lyautey. Cyrano ne pouvait pas se passer d’un vibrant hommage de cet homme d’action passionné du beau ; de cet « artiste dont les matériaux étaient des hommes, des peuples, et de grands rêves… » (André Maurois). Exalté, aux crises de rages célèbres, l’académicien est un amoureux inconditionnel de tous les arts. « Je suis fier, disait-il, dans mon labeur militaire et professionnel de me sentir en communauté avec ceux qui vivent pour l’art, la beauté, avec les libres esprits, supérieurs aux conventions sociales. » Qualités qu’il refusait aux politiques de son temps, jugés avec sévérité par ce visionnaire, à l’esprit aussi peu conservateur qu’il fut légitimiste. « Vous n’êtes pas assez mondiaux » assénait-il à ceux qu’ils considéraient comme des idéologues doctrinaires. « Le fait est que la politique étrangère occupe le dernier rang dans les préoccupations et l’éducation d’un républicain. Quelle surprise lorsqu’il arrive au pouvoir ! Il découvre tout d’un coup le vaste monde… Vite déroutés par des sujets si délicats et si complexes, où l’expérience des luttes électorales, leur seule expérience, ne leur sert de rien, nos hommes d’État républicains se hâtent d’abdiquer entre les mains de spécialistes. Leur vœux secret serait de confier à un gérant le département des affaires étrangères pour ne plus s’occuper que de la popote électorale » ironisait le Résident Général du Maroc. Ironie, mais surtout grincement de dents d’un homme de terrain, confronté à l’incapacité, mais surtout à l’étroitesse d’esprit de gouvernants « incapables de se libérer des clichés dont la révolution nous a infestés ; ils restent enlisés dans leur petit, petit horizon. »
Clémenceau n’est pas épargné, et il stigmatise même cet esprit « infesté ». C’est ainsi qu’il écrit à sa sœur Blanche dès le 5 janvier 1919 : « Il m’est impossible de partager l’ivresse générale. J’estime que cette fin a été des plus mal menée au point de vue des grands intérêts et de l’avenir du pays. […] Je n’ai aucune confiance dans notre Premier (Clémenceau), pour trop le connaitre. Je retrouve derrière lui la France du Boulangisme, de tous les embarras irréfléchis, et j’ai la conviction que nous le paierons très cher ». Malheureusement, l’histoire lui donna raison sur les points précis qu’il soulevait. Et l’auteur du Rôle social de l’officier de poursuivre sa lettre : « Sa haine jacobine des trônes l’emporte et lui fait faire la pire faute, l’insulte gratuite à l’empereur d’Autriche il y a dix mois et ensuite la dislocation de cette même Autriche sur qui il fallait reconstruire notre point d’appui européen. »
Connu surtout pour son activité marocaine, le maréchal Lyautey a inauguré, une toute autre façon d’appréhender la colonisation en prenant à la lettre la notion de Protectorat. Cherchant à faire aimer la France, en en faisant un acteur et partenaire du développement du Maroc, il s’est appuyé sur les richesses même du pays, tant économiques qu’humaines, puisant son originalité jusque dans sa religion ancestrale. Se donnant comme principe le respect des hommes et des cultures, à l’école de Gallieni, il fit prospérer une terre dont il assura l’unité tout en renforçant l’autorité du sultan. Loin d’être un conquérant qui se servait, il fut ce bâtisseur dont Hassan II dit qu’il fut avec Mohamed V l’une des deux chances du Maroc.
« Le Maréchal n’a pas fini de servir la France » a dit le général de Gaulle, lors du retour de Lyautey, en France, aux Invalides. Alors qu’il revint presqu’anonymement, sans accueil des autorités officielles, en 1925, après sa démission de Résident Général, il aura donc fallu attendre 1961 pur que l’État français reconnaisse la valeur de cet homme d’exception dont l’esprit visionnaire regorge de ressources pour la France et le monde d’aujourd’hui. Son appréhension de l’Islam, sa théorie des arcs, Orient, Occident, Afrique, sa vision de l’empire maritime français ou encore sa conception du rôle social de l’officier, sont autant de ressources qui mériteraient d’inspirer les politiques de nos jours, finalement tout aussi peu « mondiaux » que ceux d’hier et tout autant jacobins et irréfléchis.
Article paru en décembre 2014 #confinement