Loin des clichés anachroniques, un dossier sur les croisades: La prise de Constantinople (4/7)
La quatrième croisade est sans conteste la plus surprenante dans son déroulement comme dans son résultat puisqu’on ne s’y battra pas contre les musulmans et que la victoire des croisés résultera de la chute d’une ville…. Chrétienne !
LA SITUATION DES ETATS LATINS D’ORIENT
C’est, comme toujours, la situation dramatique de Jérusalem et de sa région qui va déclencher l’élan de la croisade.
La mort de la reine Sybille, en 1190, ouvrit un grave conflit entre son mari Guy de Lusignan et son beau-frère Conrad de Montferrat. Juridiquement, Guy n’avait plus aucun droit sur le trône qui revenait de jure à Isabelle, sœur cadette de Sybille et femme du Marquis de Montferrat. Le conflit fut résolu en 1192 de la manière suivante : à Guy revenait l’île de Chypre et à Conrad le « royaume de Jérusalem », dont la capitale naturelle venait de tomber aux mains des musulmans.
Mais le sort devait s’acharner sur les francs. La même année, Conrad est tué par les membres d’une étrange secte musulmane qui se rendait célèbre par les meurtres qu’elle perpétrait contre les puissants. Les fidèles de cette secte, tous fervents consommateurs de haschich, sont surnommés les Haschischins. La déformation de ce mot a donné naissance, dans notre langue, au mot « assassin »…
Dès lors obligée d’épouser le chevalier que les barons désigneraient pour protéger Jérusalem, la reine Isabelle prit pour (troisième) mari Hugues de Champagne, qui présentait l’avantage d’être à la fois le neveu du roi de France et celui du roi d’Angleterre.
L’empereur germanique vit là une occasion de démontrer la qualité de chef temporel de toute la chrétienté, que ne lui reconnaissaient guère ses rivaux, notamment le Roi de France. Henri VI, en effet, fit de du seigneur de Chypre son vassal en lui accordant le titre de « Roi de Chypre » et décida de lancer une nouvelle croisade. Il ne put tenir cette dernière promesse car il mourut avant d’embarquer pour la Terre Sainte.
LA QUATRIÈME CROISADE
Comme nous pouvons le constater, la situation bancale voire précaire du « Royaume de Jérusalem » (en réalité modeste bande de terre littorale autour de Saint-Jean d’Acre) ainsi que l’incapacité de la troisième croisade à libérer la ville sainte, rendait évident aux contemporains la nécessité d’une nouvelle croisade, après le non-départ de celle d’Henri VI.
Par chance, la papauté était alors occupée par un homme énergique et brillant : Innocent III. Ce dernier émit l’hypothèse, qu’il reprendra pour la cinquième croisade, de s’attaquer directement au cœur du Sultanat Ayyoubide : l’Egypte. Les croisés seraient ainsi en position de force pour négocier un échange entre une ville prise en Egypte (Damiette par exemple) et la Ville Sainte de Jérusalem. Cette nouvelle vision de la Croisade possédait un second avantage : celui d’attirer à elle des seigneurs très endettés qui, joignant l’utile à l’agréable, pourraient profiter de l’occasion pour se remplir les poches. Néanmoins, cette perspective présentait un inconvénient majeur : l’argent n’ayant pas d’odeur, les seigneurs en question ne verront aucun inconvénient à attaquer et piller une ville chrétienne.
Les seigneurs qui, décidèrent de se croiser en novembre 1199, prirent pour chef de comte Thibault de Champagne, qui n’était autre que le frère du roi de Jérusalem décédé le mois précédent en laissant son trône au (quatrième) mari d’Isabelle, le roi de Chypre Amaury de Lusignan.
Les croisés, qui ne possédaient pas de flotte, durent solliciter les services de la république de Venise pour assurer leur traversée. Le prix de la traversée était de 94 000 marcs d’argent, somme pharaonique à l’époque. De grands seigneurs eurent beau vendre ou gager leurs terres, les croisés ne parvinrent à réunir que 60 000 marcs d’argent. Dès lors, cette croisade passa totalement sous le contrôle de la Sérénissime, qui n’accepta de faire crédit des sommes manquantes qu’en échange d’une aide militaire contre la Hongrie. Les croisés, désormais sous la direction de Boniface de Montferrat, prirent alors en avril 1203 la ville de Zara, alors même que cette ville était chrétienne et catholique. Horrifié par cet évènement, Innocent III décida d’excommunier sur-le-champ l’armée « croisée ».
Le lion ailé de Saint Marc, symbole de Venise.
Déjà tentés par le pillage de Constantinople et par la guerre contre les schismatiques qui l’occupaient, les « croisés » dont le pape, cédant devant le fait accompli, leva l’excommunication, ne purent résister à la tentation lorsque le Casus Belli tant attendu se présenta à eux.
En effet, l’empereur Isaac II Ange, renversé et tenu captif par son frère Alexis III, proposa aux croisés, par l’entremise de son fils, un soutien financier (200 000 marcs d’argent) et militaire, ainsi qu’un rattachement à l’Eglise de Rome s’ils acceptaient de l’aider.
Les croisés et les vénitiens installèrent comme convenu sur le trône le fils d’Isaac, Alexis IV mais, celui-ci, craignant la colère du peuple et des grands, ne tint pas ses promesses, ce qui ne l’empêcha pas de se faire assassiner.
Voyant s’échapper la promesse du butin et profitant du désordre, les croisés et les vénitiens assiégèrent la ville une deuxième fois et la prirent le jour de pâques 1204. « Il y eut tant de mort et de blessés, raconte le chevalier Robert de Clari, que c’était sans fin ni mesure ». La prise de la ville laissa ensuite la place au pillage, méthodiquement organisé, chacun recevant selon son rang, les grands seigneurs ayant pris soin de se réserver les meilleurs palais. « Jamais depuis que le monde fut créé, on ne vit ni ne conquit un butin aussi grand, aussi noble, aussi riche », racontent les chroniques.
La Prise de Constantinople
Cette mise à sac, loin de réunir les deux Eglises comme c’était l’objectif de la croisade, est restée gravée dans la mémoire des chrétiens orthodoxes et a, de ce fait, approfondit le schisme et renforcé l’animosité réciproque entre les deux camps. Et pour cause, les croisés et les vénitiens ne respectèrent pas même les Eglises : « Ils brisaient les saintes images, écrit Nicétas Chonatès, jetaient les saintes reliques des martyrs en des lieux qu’il serait honteux de nommer […] ils firent des coupes à boire avec des calices et des ciboires et firent entrer mulets et chevaux dans la basilique Sainte-Sophie ».
Souhaitant s’établir durablement dans la région afin d’assurer d’une part, de nouveaux fiefs aux chevaliers (parfois en remplacement de ceux vendus pour financer la croisade) et d’autre part la route terrestre vers Jérusalem, les croisés résolurent de créer un empire latin d’orient, qui n’a malheureusement jamais eu l’influence qu’on avait espéré de lui à sa création. Il fut également l’occasion d’importer, comme lors de la première croisade, la féodalité occidentale en orient.
L’empire latin de Constantinople après la 4e croisade.
Pour procéder à la désignation de l’empereur, on eut recours à 10 électeurs : cinq évêques (2 français, 2 de Terre-Sainte et 1 allemand) et cinq représentant du Doge de Venise. Candidat déclaré et militant, le marquis Boniface de Montferrat, vassal de l’empereur, rencontra la méfiance des Vénitiens et des français, qui lui préférèrent le français Baudouin de Flandre, qui prit le nom de Baudouin Ier.