Le Rajah Bourbon, le plus légitime des prétendants ?
Une découverte surprenante
L’histoire est étonnante, peu connue, malgré le livre passionnant de Michel de Grèce dont la recension sert de prétexte à cet article. Ecrit en 2007, il raconte l’épopée d’un certain Jean de Bourbon, tour à tour esclave, officier égyptien, puis rajah. A lire un peu vite cette énumération bien succincte, on pourrait croire à un aventurier. Loin s’en faut, Jean subit son destin, poussé par les événements et plus encore la nécessité de survivre, jusqu’à ce qu’il rencontre un maître à servir et qu’il assume son identité, du moins celle qu’il croit être la sienne.
C’est par hasard qu’un de ses lointain parents, le prince Michel de Grèce découvre l’existence d’une famille Bourbon, ancienne et autrefois puissante, au cœur de l’Inde. Très vite, à la mode indienne, il est amené à rencontrer le chef de famille, avocat de son état, Balthasar IV de Bourbon, dernier rejeton de la présence d’une famille nombreuse contrainte de fuir et de s’exiler récemment. Descendant d’un Rajah, bien réel, mais aux ascendances inconnues, le chef de famille confie le peu qu’il sait au prince Michel qui dès lors va mener l’enquête.
De l’enquête au roman
Un récit où se mêlent faits historiques et broderies romancières qu’il est bien difficile de démêler à la lecture captivante de ce qu’il faut bien appeler une épopée telle qu’un héros fondateur de dynastie grecque ou mésopotamienne aurait pu la vivre. Fort consciencieusement, et sans trancher sur la réponse à apporter à la question lancinante du livre, Michel de Grèce confie, à la fin, les éléments historiques et ce à partir de quoi il a romancé cette histoire, en elle-même étonnante.
Le Fils légitime du Connétable de Bourbon ?
Qui donc est ce Rajah Bourbon ? Un jeune garçon au port altier et noble élevé seul, dans le secret de sa naissance par une gouvernante, autrefois au service du Connétable de Bourbon, celui que François Ier poussa à la traitrise (voir notre article) et d’un dominicain, probablement ancien militaire, lui-même au service du Duc de Bourbon. Tous deux ont été envoyés se terrer dans le marquisat de Mantoue appartenant aux Gonzague, apparentés aux Bourbon. Là, dans une petite ville rurale et perdue, au milieu des autres enfants, ils élèvent de façon particulière, Jean, qui se trouve être né plus ou moins en même temps que le dernier fils mort-né du Connétable.
Jean à six ans lorsque Charles III de Bourbon, passé au service de l’empereur Charles Quint, meurt en prenant Rome, le 6 mai 1527. Avant de mourir, le Connétable avait confié à un de ses fidèles sergent, un canonnier, la mission de veiller sur Jean au péril de sa vie, si lui-même venait à mourir. Ils furent donc trois à veiller sur le jeune homme qui ne manqua de rien et à assurer son éducation intellectuelle, militaire et à tenir un rang. Il ne sut jamais rien. Mais un soir de 1539, la demeure est assaillie. On tente d’assassiner le jeune homme qui sait à présent se défendre. Seul le dominicain et Jean en réchappent. L’existence et l’identité du protégé du Connétable serait-elle donc connue ? La retraite n’est plus sure. Les deux hommes fuient sur un bateau qui sera abordé par des pirates. Avant de laisser la vie dans cet abordage, le dominicain révèle à Jean ce qu’il croit être son identité. Pour lui, il est le fils légitime du Connétable, caché pour être soustrait à la vindicte de la mère du roi, la fourbe Louise de Savoie.
Une épopée digne des grands fondateurs grecs
C’est vrai qu’il lui ressemble ! Mais Jean a du mal à y croire, bien qu’il porte toujours sur lui un objet non identifié en réalité, car perdu au XIXème siècle mais bien identifié à l’époque comme réel, un objet aux armes des Bourbon, offert semble-t-il directement par le connétable avant la prise de Rome.
De l’Italie à l’Egypte…
Jean est fait prisonnier et après un périple à fond de cale, il est vendu comme esclave en Egypte. Sa jeunesse, son habilité le font remarquer et il est acheté au Caire par le Vice-roi d’Egypte pour intégrer l’armée. Meneur d’hommes, reconnu par tous pour sa droiture et sa justesse, mystérieux et mélancolique, le Vice-roi s’attache à lui et le fait capitaine. Il devient même son favori. Mais Jean, toujours resté chrétien, ne veut pas abjurer pour lui succéder. En outre il tombe amoureux d’une riche chrétienne. En 1547, jaloux, le Vice-roi complotera contre lui pour le faire arrêter. Sentant à temps le vent tourner, le capitaine fuit dans le désert, où il manque de mourir après un marathon cuisant, sans nourriture et pourchassé. Pour la première fois libre, après une enfance sous surveillance et presque dix ans d’esclavage, Jean est sur le point de mourir. Il est recueilli au bord de la mort en Ethiopie. Le temps de se remettre, il repart mais croise les troupes égyptiennes, en campagne contre l’Ethiopie. Il se mêlent à elles, malgré lui. Devenu expert en canons, comme son tuteur, il est contraint de les pointer sur les troupes de l’empereur chrétien, le jeune et brillant Galadewos, assisté des portugais. Il fausse les calculs pour que les tirs ne touchent pas ses frères de religion. Ils sont victorieux. Il est fait prisonnier comme renégat.
De l’Egypte à l’Ethiopie…
Il s’en faut de peu et c’est la faveur de la sœur de l’empereur qui le sauve. Valeureux et intelligent, fin stratège, s’il ne gagne jamais la confiance de l’empereur, il gagne celle des hommes et notamment des portugais.
Mais il tombe amoureux d’une servante de la princesse qui, jalouse, complote contre lui. Ils s’enfuient tous les deux. Rattrapés, elle est assassinée juste après leur mariage. Aidé des Portugais, en 1555, il prend le bateau pour l’Inde, sans conviction, effondré par la mort cruelle de sa bien-aimée. Avec lettre de recommandation, il se rend à la mission jésuite de Bombay, en Inde portugaise.
De l’Ethiopie aux Indes portugaises
Là, Jean, ou peut-être de son nom complet retrouvé ça et là, Jean-Philippe, est d’abord envoyé combatte dans l’ouest sur les terres du sultan du Gujarat où les guerres entre roitelets ne cessaient jamais. Il y montra sa valeur et une fois encore ses qualités de chef. Mais au bout de quelques années il s’ennuya et fut alors nommé gouverneur de Goa. A ce poste, il se révéla remarquable administrateur et bâtisseur. Il laissa un profond souvenir dans cette ville qu’il modernisa en peu de temps.
Il semble que le désir de rentrer en France le prit à cette époque. Le désir aussi de se faire reconnaitre fils légitime du Connétable traitre et récupérer son héritage. Apparemment, à cette date, nous sommes en 1560, il est désormais convaincu d’être l’héritier des ducs de Bourbon. Il faut noter qu’à cette époque, sur la scène internationale et plus encore dans la lointaine Inde, être Bourbon ne signifie rien pour personne. Si Jean est un imposteur, il n’a pas choisi un nom ni une lignée prestigieuse à ce moment de l’Histoire. Il y a donc fort à parier, qu’à titre personnel, il pensait avoir un lien particulier avec le Connétable.
L’esclave sans nom devenu Radja Bourbon
En 1560, donc, il part avec la mission jésuite portugaise chargée d’offrir une Bible au Grand Moghol, qui montre un certain intérêt pour le christianisme, d’autant qu’il a épousé, dans tout son harem, une chrétienne. La route n’est pas sûre et Jean sert d’escorte. Ses faits d’armes, à l’occasion de ce périple, notamment à Shergar, en éradiquant les bandits terreur des villageois, parviennent en même temps que lui à la cour du jeune Akbar, qui, à, 18 ans est déjà un personnage exceptionnel. Le Grand Moghol remarque très vite le port noble du militaire et l’enrôle comme commandant de l’artillerie que Jean va moderniser et porter à son plus haut niveau d’excellence. C’est la première fois visiblement que Jean se fait reconnaitre comme Jean de Bourbon, encore une fois en un lieu où ce nom ne dit rien à personne. D’une mutuelle fascination, Jean se dévouera corps et âme à son prince qui petit à petit en fera son premier lieutenant et son meilleur ami, sans que le chrétien n’ait à abandonner sa foi. Il épouse même la sœur chrétienne de l’impératrice, devenant ainsi frère du Grand Moghol qui l’emmène ou l’envoie partout. Prenant de l’âge, le Grand canonnier obtint de se retirer dans ses terres de Shergar dont Akbar l’avait nommé quelques années plus tôt Radja. Mais l’empereur ne pouvait se séparer de son fidèle parmi les fidèles et un peu avant 1590 le fait revenir auprès de lui avec le titre prestigieux et stratégique de surintendant du palais. Fonction à partir de laquelle, le prince modernisa le palais et l’administration.
Il semble qu’une ambassade portugaise arrive en 1590 pour discuter avec Akbar. A cette occasion, Jean apprend que les Valois sont éteints et que c’est un Bourbon qui règne en France. Place que comme aîné de la famille, il aurait pu revendiquer. Et peut-être est-ce le véritable but de l’ambassade portugaise. Mais, âgé et installé en Inde, Jean devenu un des princes les plus puissants du pays reste dans la nouvelle capitale Agra.
Peu après, à une date incertaine, Jean meurt à plus de 70 ans. Il est enterré dans le petit cimetière à côté de l’église qu’il avait fait construire à Agra. Sa femme, quelques années plus tard, le rejoint. Sa belle-sœur Maria, quant à elle, est enterrée à côté du tombeau du Grand Moghol.
Une postérité, un authentique prétendant au trône de France ?
Le fils ainé de Jean hérita de son poste et ainsi jusqu’à la fin de l’empire ou presque. Du cadet on ne sait rien. Mais la filiation de Jean jusqu’à nos jours est connue sans interruption. A la décadence de l’empire Mongol, les Bourbon se retirèrent dans leur principauté de Shergar. On suit l’histoire et les haut-faits et malheurs de la famille jusqu’au second XIXème siècle où subissant la jalousie de la sultane de Bhopal, elle est privée de tous ses biens. C’est à cette époque que disparu un petit objet aux armes du Connétable que Jean avait transmis à ses descendants. Aujourd’hui Baltazar IV de Bourbon, prince indien et avocat, est le chef de la maison de Bourbon des Indes et qui sait…. Peut-être de la maison de France !
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