Pour l’Histoire officielle de France, Charles, duc et connétable de Bourbon demeure, encore, le traitre. Traitre au pays, traitre au peuple, traitre au roi, traitre à l’ami. Celui que François Ier appelait « mon beau cousin », homme le plus riche et le plus puissant du royaume est donc passé à la postérité comme la figure même du traitre. Pourtant… Homme droit, simple malgré son immense fortune et sa myriade de principautés, brillant militaire, bel homme, fidèle amoureux de sa femme, moins bien gâtée par la nature et fragile de constitution, Charles de Bourbon est le type même du héros, du chevalier valeureux, de la jeunesse prometteuse, loin des frasques de son âge et de la cour du frivole Angoulême que rien ne préparait au trône et qui toute sa vie resta le seigneur léger plus que le roi avisé. Du reste, Louis XII, le fin politique, le rusé, pour garder le qualificatif aimable, ne s’y trompait pas lui qui regardait avec amertume ce géant de deux mètres en passe de lui succéder.
Après un règne vieillissant, l’avènement de François d’Angoulême, faute de mieux et par voie légitime, ouvrit une ère de jeunesse. La cour se rajeunit instantanément avec une bande de compagnons d’une vingtaine d’année. Rapidement, François Ier, fait de son beau cousin, le premier militaire du royaume en le nommant Connétable. De la bouche même du roi, il est le véritable vainqueur de Marignan en 1516, même si ce ne fut vrai qu’avec le concours de Galiot de Génouillac (voir notre article). Une belle amitié qui aurait pu conduire le roi et la France à d’immenses victoires. C’était sans compter sur la non moins immense cupidité de la mère du roi, Louise de Savoie, la subtilité de l’hypocrisie dans toute sa quintessence. Elle-même Bourbon, elle lorgnait avidement sur cette colossale fortune d’un duc en mal d’héritier. Elevée par la belle-mère du duc, Anne de Beaujeu et mère de Suzanne héritière des Bourbon que Charles avait épousé, fille de Louis XI et fine régente du royaume pendant la minorité de son frère Charles VIII, maîtresse femme, mais d’une austérité à la hauteur de celle de son père, Louise ne pardonna jamais à Anne son enfance qu’elle considéra comme humiliante. Intrigante, n’hésitant pas à utiliser son influence sur un roi qui ne gouvernait pas sans sa mère, dès avant Marignan elle sema les germes de la discorde entre les deux cousins, dans le but de le disgracier et d’obtenir l’héritage des Bourbons. A ce désir cupide, la mère du roi, la quarantaine passée, en ajouta un autre qui la surprit elle-même, dans sa robe de deuil. Elle se prit de passion pour le jeune connétable qui, fidèle et peu attiré par une vielle dame, la repoussa courtoisement, mais sans équivoque.
Il n’en fallut pas plus pour déclencher la vengeance de Louise. Mais elle dut attendre. Attendre car contre toute espérance, la frêle duchesse mit au monde un fils, François dont le roi en tant que parrain se devait d’être le protecteur. Mais l’héritier mourut et Suzanne ne mit ensuite au monde que des enfants mort-nés, du moins officiellement (voir notre prochain article sur le Rajah Bourbon). Epuisé, elle décéda en 1522, fragilisant la succession Bourbon. Louise, envoya le Chancelier de France Duprat, sa créature, pour tenter d’imposer son mariage avec Charles. Elle aurait ainsi eu l’héritage et l’amant. Il refusa tout net et s’ensuivit un procès que Louise, toute mère du roi qu’elle fut, perdit. Au damne des enquêteurs qui furent arrêtés, sans que François Ier ne bougeât. Telle est la chevalerie de cette cour d’Angoulême dont l’historiographie, après le désastre de Padoue s’est ingénié à créer le personnage idéalisé que nous connaissons aujourd’hui (voir notre article).
Mais le repos n’est que de courte durée. La duchesse Anne décède en 1522. Sa personnalité retenait les vautours qui sont alors déchainés. Charles est défait de tous ses biens, on ne lui laisse guère que son splendide château de Moulin. Alors, le fidèle compagnon, humilié, affaibli par la mort de son épouse adorée, accepte de recevoir les émissaires de l’empereur Charles Quint qui attend de mettre à genoux le roi de France pour être la seule puissance dominante d’Europe, un pied sur l’Espagne et l’Amérique, l’autre sur le Saint-Empire dont François avait même eu l’audace de convoiter le titre impérial en se présentant à l’élection en 1519.
Malade et alité, Charles reçoit le roi venu à Moulin en 1523 pour s’assurer des ragots. Le connétable désormais en position d’infériorité et conscient des trahisons du souverain, nie. D’apparence satisfait, le roi laisse cependant une garde au château. Remis, le Connétable envoie au roi une lettre lui jurant fidélité s’il lui rend ses possessions. Pour toute réponse François arrête l’évêque messager. Charles est alors contraint de fuir dans un itinéraire rocambolesque qui le conduit à Besançon, en terre d’empire. Le ralliement à Charles Quint est officiel. Charles n’a plus d’autres choix. L’empereur s’engage à restituer les possessions du duc et à lui donner sa sœur Eléonore, veuve du roi de Portugal en mariage.
C’est celui qu’on appelle sans équivoque le Connétable, le vainqueur de Marignan qui est aussi l’artisan de la cuisante défaite de Padoue, faisant prisonnier un roi de France blessé et humilié. Cette capture insolite qui rend incrédule Henri VIII, est évocatrice du tempérament de François Ier, imprudent, peu incarné dans sa dignité royale. Charles tient sa revanche, mais l’empereur lui ravit le butin de la victoire. Sans avertir le Connétable, il fait emmener le roi en captivité à Madrid. Il traite avec lui, obtient la restitution des terres du Duc et promet sa sœur de Portugal en mariage au roi captif, au détriment de sa promesse au duc. A peine libéré, contre la captivité de ses propres enfants et malgré leur détention, François Ier renie ses engagements.
Peu importe, Charles Quint a mis à genoux la France, grâce à son meilleur soldat. Son but est d’autant plus atteint que François Ier n’aura désormais qu’une envie, faire oublier l’Italie et donc s’en détourner. Le Connétable n’est plus d’aucune utilité à l’Empereur. Les guerres et fausses promesses ne cesseront pas entre les deux monarques, mais ils s’arrangeront toujours entre eux désormais. Charles ne peut cependant plus abandonner l’empereur et revenir en France. Il devient un homme de main, un condottiere aux ordres des basses tâches de Charles Quint.
C’est ainsi qu’en 1527, il lui ordonne de marcher sur Rome contre le pape Clément. Voilà un prince français contraint d’attaquer la ville Sainte, avec une armée qui en campagne laissa le souvenir d’une marche respectueuse des populations.
Il n’en fut pas de même de la prise de Rome. Tué sous les remparts que ses troupes allaient prendre, le Connétable ne vit pas sa victoire, mais la voulait-il vraiment ? Par vengeance ses troupes fidèles firent subirent à la ville éternelle un des pires sacs de son histoire. La dépouille du Connétable fut portée, yeux ouverts, en triomphe dans Rome comme jadis les imperators victorieux.
Ainsi périt un des plus nobles chevaliers de France, contraint par la cupidité d’une femme et la faiblesse de son roi de se faire l’exact opposé de ce qu’il était au plus profond de lui. A quand une réhabilitation dans l’Histoire ?