Le baptême de Clovis, enquête et quête par le Pr. Dumézil
L’ouvrage est paru en 2019, loin de la tumultueuse année 1996, souhaitant (ou refusant) de commémorer le 1500ème anniversaire du baptême de la France, entrée dans les fons baptismaux rémois en même temps que Clovis un 24 décembre 50?.
A dire vrai, tout est question sur cet événement, y compris le fait, qu’il semble bien qu’en son temps, il n’en fut pas un. Presqu’aucune source contemporaine ne mentionne cette conversion officielle du fils de Childéric. Il n’est pas jusqu’à la date qui soulève de nombreux mystères et autant de chamailleries d’historiens. Entre les tenants d’une datation précoce qui placerait la conversion au catholicisme du roi barbare en 496 et ceux qui n’hésitent pas à la poser au-delà de 507, Bruno Dumézil, professeur à la Sorbonne, mène sa propre enquête et propose, lui, avec prudence, toutefois, 505.
Son argumentation est l’occasion d’un riche tableau du monde gaulois au tournant du VIème siècle de notre ère. Malgré la relative rareté des documents originaux conservés et le travail ardu de vérification des sources plus tardives, un monde bigarré, mais finalement suffisamment reconstitué prend forme et abandonne une part de son obscurité, pour se livrer au lecteur attentif. On y perçoit une époque en pleine mutation entre plusieurs mondes. Le barbare et le romain, le païen et le chrétien, l’hérétique et l’hétérodoxe, l’occidental et l’oriental se mêlent, se déchirent, mais finalement se recomposent en une mosaïque de différences cohabitants vaille que vaille.
Qui imagine un monde monolithe en sera pour ses frais, tout comme celui voudrait donner à ces temps immémoriaux, la sagesse d’une unité conquérante. Du roi à l’empereur, du pape aux hérétiques, des archevêques aussi célèbres et puissants que saint Avit de Vienne, catholique défenseur de l’orthodoxie au milieu de Burgondes ne sachant trop s’ils sont ariens par foi ou par politique, à ce roitelet franc, pas certains de vouloir donner un signe politique en adoptant la religion de l’empire, les nuances et compromis, pas toujours très honorables, ni fidèles font de ce premier VIème siècle un monde d’apparence instable, loin du binaire blanc ou noir.
Il n’est pas jusqu’au puissant Avit, pas très empressé de soutenir le baptême du Franc, au point de ne pas aller à la cérémonie dont on ne trouve qu’un très vague échos et encore fort lointain dans la correspondance romaine. Et finalement, on ne sait si l’événement n’intéresse pas même la curie ou l’embarrasse. Les pages de ce livre enquête (après tout n’est-ce pas l’étymologie du mot histoire) regorgent de ces nuances où se mêlent certitudes (surtout lorsqu’il s’agit de disqualifier un élément du corpus de recherche plus que de consacrer la vérité d’un autre laissé à la plaidoirie) et conjectures, prêtes à être remises en cause.
Le plus intéressant de l’enquête, n’est finalement pas tant la réponse apportée que le monde qui s’ouvre sous nos aux yeux, vivant, et en fin de compte, pas si éloigné de nos bigarrures actuelles. A moins que ce ne soient les évidences, nées de couches idéologiques de tous bords, balayées par le dépoussiérage de l’archéologue des sources qui fondent la respiration même de cette quête.
A côté de la datation, dont même la nuit de Noël n’est qu’une forte probabilité déduite d’éléments annexes, sur fond de reconstitution historico-théologique, un deuxième temps de la recherche, nécessaire au toilettage des données vérifiées, se concentre sur l’homme Clovis et il faut bien reconnaître que l’épaisseur du mythe s’émousse grandement sous les coups de pinceaux délicats du restaurateur de vérité historique. Le personnage devient évanescent et seuls quelques traits de l’homme réel demeurent, laissant place à l’imagination, voir à la récupération politique et idéologique. Un point ne peut, cependant manquer d’étonner. Si Clovis est l’incontestable victorieux des années 500/511, il n’est pas celui dont se prévalent les mérovingiens et ce dès ses premiers successeurs. Il faut attendre Grégoire de Tours, une bonne génération plus tard pour que quelqu’un évoque le souvenir du premier roi, non pas chrétien, il y en avait d’autres, mais catholique. Car tel est l’évènement surprenant, à défaut d’avoir paru majeur, de l’époque. Clovis ne se convertit pas à l’arianisme, comme tant d’autres, mais au catholicisme. Evidemment, à posteriori, la portée politique et religieuse d’un tel choix n’échappa nullement aux historiographes officiels du royaume de France. D’autant qu’une autre marque de cette conversion catholique est, qu’à la différence des autres dynasties, les successeurs de Clovis ne renièrent jamais ce choix. Les mérovingiens vont connaître de gros succès, théorisant alors une théologie de la victoire. Mais vers 561, des revers commencèrent à effriter le mythe de l’invaincu. C’est peut-être pour cela que c’est à cette date que le roi chevelu oublié, refit surface. Commença alors la formidable histoire qui auréola tout autant de gloire que de mystère sacré ce personnage aux traits subitement de plus en plus précis, tout autant que les descriptions de ses aventures ou de son baptême.
Un livre passionnant où, faisant la part des choses, on apprend bien plus qu’on ne désapprend. Une quête de vérité qui ouvre d’étonnantes perspectives sur notre propre monde d’aujourd’hui, lui-même, mosaïque en mutation.
Le baptême de Clovis, Bruno Dumézil, NRF, Gallimard, 2019.